Un long chemin vers la liberte
informé des activités de l ’ ANC. La centralisation toujours plus forte de l ’ organisation à Johannesburg et le pouvoir déclinant des régions ne lui plaisaient pas. Je l ’ ai rassuré en lui disant que nous voulions garder des régions fortes. Mon étape suivante a été une rencontre à Durban avec le Dr. Naicker et le comité de direction du Natal Indian Congress, où j ’ ai abordé un problème très délicat : la direction nationale pensait que dernièrement le Congrès indien était devenu inactif. Je n ’ avais pas très envie de le faire car le Dr. Naicker était mon aîné et il avait beaucoup plus souffert que moi, mais nous avons discuté des moyens pour mettre en échec les restrictions imposées par le gouvernement.
De Durban, j ’ ai continué vers le sud en suivant la côte par Port Shepstone et Port St. Johns, de jolies petites villes coloniales sur les plages de l ’ océan Indien. J ’ étais fasciné par la beauté de la région, mais les immeubles et les rues portant le nom d ’ impérialistes blancs qui avaient opprimé ceux dont les noms étaient d ’ ici me ramenaient continuellement sur terre. A cet endroit, j ’ ai tourné vers l ’ intérieur, vers Umzumkulu, pour rencontrer le Dr. Conco, le trésorier général de l ’ ANC.
Puis j ’ ai senti la joie monter en moi quand j ’ ai pris la route d ’ Umtata.
Quand je me suis engagé dans York Road, la rue principale d ’ Umtata, je me suis senti envahi par un flot de souvenirs comme lorsqu ’ on rentre chez soi après un long exil. J ’ étais parti depuis treize ans, et bien qu ’ il n ’ y eût ni drapeaux ni veau gras pour accueillir le retour du fils prodigue, j ’ étais extraordinairement heureux de revoir ma mère, mon humble maison et mes amis d ’ enfance. Mais mon voyage au Transkei avait un autre but : mon arrivée coïncidait avec la réunion d ’ un comité spécial nommé pour contrôler le passage du système du Bungha à celui des Autorités bantoues.
Le rôle du Bungha, composé de 108 membres dont un quart de Blancs et trois quarts d ’ Africains, était de conseiller le gouvernement pour la législation concernant les Africains de la région, et pour régler les questions locales comme les impôts et les routes. Le Bungha était l ’ organisme le plus influent du Transkei mais il n ’ avait qu ’ un rôle consultatif et des magistrats blancs pouvaient revoir les décisions qu ’ il prenait. Son pouvoir était celui que les Blancs lui permettaient d ’ avoir. Pourtant la Bantu Authorities Act le remplacerait par un système encore plus répressif : un ordre féodal s ’ appuyant sur des distinctions héréditaires et tribales décidées par l ’ Etat. Le gouvernement laissait entendre que la Bantu Authorities Act libérerait les gens du contrôle des magistrats blancs, mais ce n ’ était qu ’ un écran de fumée qui cachait la liquidation de la démocratie et le renforcement des rivalités tribales. L ’ ANC considérait que l ’ acceptation de la Bantu Authorities Act était une capitulation devant le gouvernement.
Le soir de mon arrivée, j ’ ai rencontré brièvement un certain nombre de conseillers du Transkei et mon neveu, K.D. Matanzima, que j ’ appelais Daliwonga. Il jouait un rôle déterminant en essayant de persuader le Bungha d ’ accepter le système des Autorités bantoues, car le nouvel ordre renforcerait et même augmenterait ses pouvoirs comme chef des Thembus émigrants. Daliwonga et moi nous étions opposés sur cette question épineuse. Nous avions eu une évolution différente : il avait choisi un rôle de chef traditionnel et il coopérait avec le système. Mais il était tard, et plutôt que de nous lancer dans une longue discussion, nous avons décidé de nous retrouver le lendemain.
J ’ ai passé la nuit en ville, dans une pension de famille, je me suis levé de bonne heure, et deux chefs locaux sont venus prendre un café dans ma chambre pour parler de leur rôle dans les nouvelles Autorités bantoues. Au milieu de notre conversation, la patronne de la pension de famille, inquiète, a fait entrer un Blanc dans ma chambre.
« Etes-vous Nelson Mandela ? m ’ a-t-il demandé.
— Qui êtes-vous pour me le demander ? »
Il m ’ a donné son nom et m ’ a dit qu ’ il était inspecteur de la police de sécurité.
« Puis-je voir votre carte ? » lui ai-je demandé. Il était évident que mon audace lui déplaisait
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