Un long chemin vers la liberte
a éveillé en moi les affres de la culpabilité. Brusquement, ma joie de partir en voyage a disparu. Mais je l ’ ai remise au lit, je l ’ ai embrassée en lui disant bonne nuit et tandis qu ’ elle se rendormait, j ’ ai achevé mes préparatifs.
Je partais pour une mission d ’ information à laquelle j ’ ajouterais le plaisir de revoir mon pays, mes anciens amis et mes camarades. Jetais resté éloigné de ce qui s ’ était passé là-bas et j ’ avais envie de voir l ’ intérieur du pays par moi-même. Je lisais beaucoup de journaux de toutes les régions, mais ils ne donnent qu ’ une pauvre image de la réalité ; les informations qu ’ ils donnent sont importantes pour un combattant de la liberté non pas parce qu ’ elles disent la vérité, mais parce qu ’ elles révèlent les préjugés et les préventions à la fois de ceux qui écrivent les articles et de ceux qui les lisent. Au cours de ce voyage je voulais parler directement avec notre peuple, sur le terrain.
Je suis parti peu après minuit et une heure plus tard j ’ étais sur la route de Durban. Il n ’ y avait personne en vue et seules les étoiles et la douce brise du Transkei m ’ accompagnaient. Bien que n ’ ayant pas dormi, je me sentais le cœur léger et en pleine forme. Au lever du jour, je suis passé du Volksrust au Natal, le pays de Cetywayo, le dernier roi indépendant des Zoulous, dont l ’ armée avait vaincu une colonne britannique à Isandhlwana en 1879. Mais le roi n ’ avait pas pu soutenir la puissance de feu des Britanniques et il avait fini par livrer son royaume. Peu après avoir franchi la rivière qui forme la frontière du Natal, j ’ ai aperçu les Majuba Hills, l ’ escarpement où un petit commando boer en embuscade avait anéanti une garnison de tuniques rouges britanniques moins de deux ans après la défaite de Cetywayo. A Majuba Hills, les Afrikaners avaient vaillamment défendu leur indépendance contre l ’ impérialisme britannique au nom de leur nationalisme. Aujourd ’ hui, les descendants de ces mêmes combattants de la liberté persécutaient mon peuple qui luttait précisément pour défendre exactement ce pour quoi les Afrikaners avaient combattu et étaient morts. Je traversai ces collines historiques en pensant moins à l ’ ironie de l ’ histoire qui fait que l ’ opprimé devient l ’ oppresseur qu ’ au fait que les Afrikaners sans pitié méritaient de connaître leur propre Majuba Hills devant mon peuple.
Ma réflexion a été interrompue par la joyeuse musique de Radio Bantou sur mon autoradio. Si je méprisais la politique de Radio Bantou, définie par la très gouvernementale South African Broadcasting Corporation, j ’ aimais beaucoup la musique qu ’ elle diffusait. (En Afrique du Sud, les artistes africains faisaient de la musique mais les compagnies de disques blanches empochaient l ’ argent.) J ’ écoutais un programme de musique populaire intitulé « Service de rediffusion » où l ’ on présentait la plupart des grands chanteurs africains d ’ Afrique du Sud : Myriam Makeba, Dolly Rathebe, Dorothy Masuku, Thoko Shukuma et la voix douce des Manhattan Brothers. J ’ aime tous les genres de musique, mais celle née de ma chair et de mon sang me va droit au cœur. Ce qu ’ il y a d ’ étrange et de beau dans la musique africaine, c ’ est qu ’ elle vous redonne courage même si elle raconte une histoire triste. Vous pouvez être pauvre, habiter dans une maison délabrée, avoir perdu votre travail, elle vous redonne espoir. La musique africaine concerne souvent les aspirations du peuple, et elle peut enflammer les résolutions politiques de ceux qui sans elle resteraient indifférents. Il suffit d ’ observer l ’ effet contagieux des chants dans un rassemblement africain. La politique peut être renforcée par la musique, mais la musique a une puissance qui défie la politique.
Je me suis arrêté un certain nombre de fois au Natal, pour rencontrer secrètement des responsables de l ’ ANC. Avant d ’ arriver à Durban, j ’ ai profité de l ’ occasion pour m ’ arrêter à Pietermaritzburg, où j ’ ai passé la nuit avec le Dr. Chota Motale, Moses Mabhida et quelques autres afin de parler de la situation politique du pays. Puis je suis allé à Groutville pour rencontrer le chef Luthuli. A cause d ’ un ordre d ’ interdiction, il ne pouvait plus se déplacer depuis un an, mais il n ’ en était pas moins très bien
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