Un long chemin vers la liberte
matinée, et alors que je gravissais les marches, j ’ ai entendu le bruit de meubles qu ’ on déplaçait et la voix d ’ hommes en colère. J ’ ai reconnu celle de Fred Carneson, le directeur du journal et son maître à penser. J ’ ai aussi entendu les voix brutales des hommes de la police de sécurité qui perquisitionnaient les bureaux. Je suis parti discrètement et, plus tard, j ’ ai découvert qu ’ il ne s ’ agissait pas d ’ un incident isolé mais que cela faisait partie de la plus grande opération de police de toute l ’ histoire d ’ Afrique du Sud. Avec des mandats l ’ autorisant à saisir tout ce qu ’ elle considérait comme des preuves de menaces pour la sécurité de l ’ Etat, de sédition ou de violation de la loi interdisant le communisme, la police avait perquisitionné au domicile ou dans les bureaux de plus de 500 personnes dans tout le pays. Mon bureau à Johannesburg avait été perquisitionné, ainsi que le domicile du Dr. Moroka, du père Huddleston et du professeur Matthews.
Cette opération jeta une ombre sur mon dernier jour au Cap car c ’ était la première manifestation de la nouvelle stratégie encore plus répressive de l ’ Etat. On pouvait s ’ attendre au minimum à une nouvelle série d ’ interdictions et j ’ étais sûr d ’ en faire partie. Ce soir-là, le révérend Teka et sa femme avaient invité beaucoup de gens pour me dire au revoir et, sous la conduite du révérend, nous nous sommes agenouillés et avons prié pour ceux qui avaient subi une perquisition. Je suis parti à mon heure préférée, et une demi-heure plus tard j ’ étais sur la route de Kimberley, la ville brutale où l ’ industrie sud-africaine du diamant avait débuté au siècle dernier.
Je devais passer une nuit chez le Dr. Arthur Letele. Celui qui deviendrait le trésorier général de l ’ ANC était un médecin très scrupuleux. J ’ avais un rhume et, dès mon arrivée, il m ’ a mis au lit. C ’ était un homme courageux et dévoué et, pendant la Campagne de défi, il avait conduit un groupe de volontaires en prison. Cela représentait une action risquée pour un médecin dans une ville conservatrice où le militantisme politique était rare chez les Noirs. A Johannesburg, on a le soutien de centaines ou de milliers de camarades engagés dans les mêmes activités dangereuses, mais dans un endroit conservateur comme Kimberley, sans presse libérale ni magistrature pour contrôler la police, ce genre d ’ action exige un grand courage. A Kimberley, pendant la Campagne, un des membres responsables de l ’ ANC avait été condamné au fouet par le juge local.
Malgré mon rhume, Arthur m ’ a permis de prendre la parole lors d ’ une réunion de l ’ ANC qui avait lieu chez lui, le lendemain soir. Je m ’ apprêtais à partir à 3 heures du matin, mais Arthur et sa femme ont insisté pour que je reste jusqu ’ au petit déjeuner, ce que j ’ ai fait. J ’ ai bien roulé jusqu ’ à Johannesburg et, juste avant l ’ heure du dîner, je suis arrivé à la maison, où j ’ ai été accueilli par les cris de joie de mes enfants, qui savaient bien que je leur rapportais des cadeaux. J ’ ai distribué ce que j ’ avais acheté au Cap et j ’ ai répondu patiemment à leurs questions sur mon voyage. Je n ’ avais pas vraiment pris de vacances, mais cela m ’ avait fait le même effet : je me sentais rajeuni et prêt à reprendre la lutte.
22
Tout de suite après mon retour, j ’ ai rendu compte de mon voyage au Comité de travail de l ’ ANC. Son principal souci était de savoir si l ’ Alliance des congrès était assez forte pour s ’ opposer aux projets du gouvernement. Je ne rapportais pas de bonnes nouvelles. J ’ ai dit que dans le Transkei l ’ ANC n ’ avait pas une très bonne organisation et que la puissance de la police de sécurité anéantirait vite l ’ influence qu ’ il pouvait avoir.
J ’ ai avancé une possibilité qui, je le savais, serait impopulaire. Pourquoi l ’ ANC ne participerait-il pas aux nouvelles structures des Autorités bantoues afin de rester en contact avec le peuple ? Avec le temps, une telle participation deviendrait une tribune pour nos idées et notre politique.
Toute proposition de participation aux structures de l ’ apartheid rencontrait immédiatement une opposition furieuse. Autrefois, j ’ aurais moi aussi énergiquement refusé. Mais d ’ après la connaissance que j ’ avais du
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