Un long chemin vers la liberte
discours avaient été prononcés.
Pour soutenir l ’ allégation invraisemblable selon laquelle nous avions prévu de remplacer le gouvernement par un Etat de type soviétique, l ’ accusation s ’ appuya sur les preuves avancées par le professeur Andrew Murray, directeur du département de sciences politiques à l ’ université du Cap. Murray désigna comme « communistes » quantité de documents saisis, y compris la Charte de la liberté.
Au début, le professeur Murray semblait relativement bien informé, mais c ’ était avant que Berrangé l ’ interroge. Ce dernier lui dit qu ’ il allait lui lire des extraits de différents documents et Murray devrait dire s ’ ils étaient communistes ou non. Berrangé lui lut le premier extrait qui concernait la nécessité pour les travailleurs ordinaires de coopérer et de ne pas s ’ exploiter mutuellement. Communiste, dit Murray. Berrangé dit alors qu ’ il s ’ agissait d ’ une déclaration de l ’ ancien Premier ministre d ’ Afrique du Sud, le Dr. Malan. Berrangé lui lut deux autres déclarations que le professeur Murray jugea communistes. Ces textes avaient en fait été prononcés par les présidents des Etats-Unis Abraham Lincoln et Woodrow Wilson. Mais on atteignit le sommet quand Berrangé lut à Murray un passage que le professeur n ’ hésita pas à qualifier d ’ « entièrement communiste ». Berrangé lui dit alors qu ’ il s ’ agissait d ’ un texte que le professeur Murray lui-même avait écrit dans les années 30.
Au septième mois du procès, l ’ accusation annonça qu ’ elle allait produire la preuve qu ’ on avait organisé des violences pendant la Campagne de défi. Elle appela le premier de ses grands témoins, Solomon Ngubase dont le témoignage sensationnel semblait impliquer l ’ ANC. Ngubase était un type mielleux d ’ à peine quarante ans ; il possédait mal la langue anglaise et il purgeait une condamnation pour fraude. Dans son témoignage, il expliqua à la cour qu ’ il avait obtenu une licence à l ’ université de Fort Hare et qu ’ il était avocat. Il dit qu ’ il avait été secrétaire de la branche de Port Elizabeth de l ’ ANC ainsi que membre de la Direction nationale. Il prétendit avoir assisté à une réunion de la Direction nationale au cours de laquelle on avait pris la décision d ’ envoyer Walter Sisulu et David Bopape en Union soviétique pour qu ’ ils s ’ y procurent des armes en vue de l ’ organisation d ’ une révolution violente en Afrique du Sud. Il dit avoir été présent à une réunion qui avait préparé l ’ émeute de 1952 à Port Elizabeth et qu ’ il se trouvait là quand l ’ ANC avait décidé de tuer tous les Blancs du Transkei comme les Mau Mau au Kenya. Le témoignage spectaculaire de Ngubase créa un remous à l ’ intérieur et à l ’ extérieur du tribunal. C ’ était enfin la preuve de la conspiration.
Mais quand Berrangé l ’ interrogea, Ngubase apparut à la fois comme un fou et un menteur. Berrangé, à qui son habileté dans les contre-interrogatoires avait valu le surnom d ’ Isangoma (devin ou guérisseur qui exorcise une maladie), établit rapidement que Ngubase n ’ avait jamais été diplômé de l ’ université et encore moins membre de la Direction nationale. Berrangé prouva qu ’ il s ’ était fabriqué de faux diplômes universitaires, qu ’ il avait pratiqué illégalement le métier d ’ avocat pendant plusieurs années et qu ’ une autre affaire de fraude le concernant allait bientôt éclater. Au moment où, selon ses dires, il avait assisté à la réunion pour préparer l ’ émeute de Port Elizabeth, il purgeait une peine de prison à Durban. Aucun élément du témoignage de Ngubase n ’ avait de rapport avec la vérité. A la fin du contre-interrogatoire, Berrangé lui demanda : « Savez-vous ce qu ’ est un escroc ? » Ngubase dit qu ’ il ne savait pas. Alors Berrangé s ’ écria : « Vous, vous êtes un escroc ! »
Joe Slovo, un des accusés et un avocat extraordinaire, assura lui-même sa défense. Il irritait beaucoup l ’ accusation à cause de ses questions précises et de sa façon de montrer que c ’ était l ’ Etat qui violait la loi et pas l ’ ANC. Le contre-interrogatoire de Joe Slovo fut souvent aussi ravageur que celui de Berrangé. L ’ inspecteur Jeremiah Mollson, un des rares Africains membres de la Special Branch, prétendait se souvenir de
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