Un long chemin vers la liberte
choses se seront tassées vous vous remettrez peut-être ensemble. » C ’ était raisonnable mais ça n ’ a pas eu lieu.
Evelyn et moi avions des différences inconciliables. Je ne pouvais pas abandonner ma vie dans la lutte et elle ne pouvait pas supporter mon attachement à autre chose qu ’ elle et la famille. C ’ était une femme très bien, charmante, forte et fidèle, une excellente mère. J ’ ai toujours gardé le respect et l ’ admiration que j ’ avais pour elle mais nous n ’ avons pas réussi notre couple.
La rupture de tout mariage est un traumatisme, surtout pour les enfants. Notre famille n ’ y a pas fait exception et les enfants en ont souffert. Makgatho dormait dans mon lit. C ’ était un enfant très gentil, un médiateur naturel et il essayait de trouver le moyen de nous réconcilier, sa mère et moi. Makaziwe était encore petite, et je me souviens d ’ un jour, alors que je n ’ étais ni en prison ni au tribunal, où je suis allé la voir à la crèche sans prévenir. Elle avait toujours été très affectueuse mais quand elle m ’ a vu, elle s ’ est figée. Elle ne savait pas si elle devait courir vers moi ou se sauver, sourire ou se renfrogner. Un conflit lui déchirait le cœur et elle ne savait pas comment le résoudre. C ’ était très douloureux.
Thembi, qui avait dix ans à l ’ époque, fut le plus affecté. Il cessa de travailler en classe et se renferma. Avant, il aimait beaucoup l ’ anglais et Shakespeare, mais après la séparation, le travail scolaire n ’ a plus semblé l ’ intéresser. Le directeur de son école m ’ en a parlé une fois, mais je ne pouvais pas faire grand-chose. Je l ’ emmenais au gymnase chaque fois que je le pouvais et parfois il se déridait un peu. Mais j ’ étais rarement là et, plus tard, quand je suis passé dans la clandestinité, Walter l ’ a pris chez lui, avec son fils. Une fois, Walter l ’ a emmené dans une réunion sportive et ensuite il m ’ a dit : « Il est drôlement calme, le petit. » Après la séparation, Thembi portait souvent mes vêtements même s ’ ils étaient beaucoup trop grands pour lui ; il avait l ’ impression d ’ être avec son père, trop souvent absent.
25
Le 9 janvier 1957, on nous a de nouveau rassemblés dans le Drill Hall. C ’ était au tour de la défense de réfuter les arguments de l ’ accusation. Après avoir résumé les charges qui pesaient contre nous, Vernon Berrangé, notre principal avocat, a pris la parole : « La défense va repousser énergiquement l ’ affirmation selon laquelle les termes de la Charte de la liberté sont de nature criminelle ou constituent une forme de haute trahison. Tout au contraire, la défense soutiendra que les idées et les convictions exprimées dans cette charte, même si elles sont incompatibles avec la politique de l ’ actuel gouvernement, sont partagées par l ’ immense majorité de l ’ humanité, de toutes races et de toutes couleurs, ainsi que par l ’ immense majorité des citoyens de ce pays. » En accord avec nos avocats, nous avions décidé que nous ne nous contenterions pas de prouver notre innocence, et montrerions qu ’ il s ’ agissait d ’ un procès politique dans lequel le gouvernement nous persécutait pour avoir décidé d ’ actions moralement justifiées.
Mais l ’ affrontement des arguments a bientôt cédé la place aux tactiques de procédure. Le premier mois a été consacré à la présentation des preuves de l ’ accusation. On a produit un par un et numéroté chaque journal, tract, livre, carnet, lettre, magazine et coupure de presse ; 12 000 documents en tout. Cela allait de la Déclaration universelle des droits de l ’ homme des Nations unies jusqu ’ à un livre de cuisine russe. L ’ accusation a même présenté les deux pancartes saisies au Congrès du peuple : « Soupe avec viande » et « Soupe sans viande ».
Pendant l ’ examen préparatoire, qui devait durer des mois, nous avons écouté jour après jour des inspecteurs de police africains et afrikaners lire leurs notes prises lors de réunions de l ’ ANC, ou des transcriptions de discours. Les comptes rendus dénaturaient toujours la réalité et étaient souvent absurdes ou carrément mensongers. Plus tard, Berrangé a montré dans son contre-interrogatoire que beaucoup d ’ inspecteurs de police africains ne pouvaient ni comprendre ni écrire l ’ anglais, la langue dans laquelle les
Weitere Kostenlose Bücher