Un long chemin vers la liberte
: je porterais un pantalon long et j’aurais des repas spéciaux, si j’acceptais d’être mis en isolement. « Nous voulions vous mettre avec les autres politiques, m’a-t-il dit, mais maintenant vous serez seul. J’espère que ça vous plaira. » Je lui ai assuré que la solitude me convenait dans la mesure où je pouvais porter et manger ce que j’avais choisi.
Pendant les semaines suivantes, je suis resté complètement et totalement seul. Je n’ai pas vu le visage ni entendu la voix d’un autre prisonnier. J’étais enfermé vingt-trois heures par jour, avec trente minutes d’exercice le matin et le soir. Je n’avais jamais vécu dans l’isolement et chaque heure me semblait une année. Il n’y avait pas de lumière naturelle dans ma cellule ; une ampoule nue restait allumée vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Je n’avais pas de montre et, souvent, je me croyais au milieu de la nuit alors que ce n’était que la fin de l’après-midi. Je n’avais rien à lire, rien pour écrire et personne à qui parler. L’esprit commence à se retourner sur lui-même, et on désire désespérément quelque chose de l’extérieur pour y fixer son attention. J’avais connu des hommes qui avaient préféré recevoir une demi-douzaine de coups de fouet plutôt que d’être enfermés seuls. Au bout d’un certain temps de solitude, je me réjouissais même de la présence d’insectes dans la cellule, et j’étais sur le point d’entreprendre des conversations avec les cafards.
J’avais parfois la possibilité de voir un gardien africain entre deux âges et, une fois, j’ai essayé de le corrompre avec une pomme pour qu’il me parle. Je lui ai dit : « Baba – un terme de respect qui signifie “père” — , est-ce que je peux te donner une pomme ? » Il s’est détourné et a gardé le silence à toutes mes autres tentatives. En fin de compte, il m’a dit : « Tu voulais un pantalon et une meilleure nourriture et maintenant que tu les as tu n’es toujours pas heureux. » Il avait raison. Il n’y a rien de plus déshumanisant que l’absence de contact humain. Au bout de quelques semaines, j’ai pu ravaler mon orgueil et dire au colonel Jacobs que je voulais bien échanger mon pantalon contre de la compagnie.
Au cours de ces semaines de solitude, j’ai eu beaucoup de temps pour réfléchir à mon destin. La place d’un combattant de la liberté est à côté de son peuple, pas derrière des barreaux. Les contacts que j’avais acquis récemment en Afrique allaient rester enfermés ici plutôt que d’être utilisés dans la lutte. Je maudissais le fait que mes connaissances ne seraient pas utilisées pour la création d’une armée.
J’ai commencé à protester violemment contre mes conditions d’incarcération et j’ai exigé d’être mis avec les autres prisonniers politiques. Parmi eux se trouvait Robert Sobukwe. Le colonel Jacobs finit par accepter, mais il me mit sévèrement en garde en me disant que les conséquences seraient très graves si je me conduisais de nouveau de façon imprudente. Je ne pense pas avoir autant désiré manger de la bouillie de maïs froide.
Non seulement je souhaitais de la compagnie, mais je voulais aussi parler avec Sobukwe et les autres prisonniers, la plupart du PAC, parce que je pensais qu’en prison nous pourrions forger une unité impossible à l’extérieur. Les conditions de vie en prison tempèrent les polémiques et les gens voient plus ce qui les unit que ce qui les sépare.
Quand on m ’ a emmené dans la cour avec les autres, nous nous sommes salués chaleureusement. En plus de Sobukwe, il y avait John Gaetsewe, un des dirigeants du Congrès des syndicats d ’ Afrique du Sud (SACTU) ; Aaron Molete, un membre de l ’ ANC qui travaillait à New Age ; et Stephen Tefu, un syndicaliste, membre important du Parti communiste. Robert me demanda de leur faire un compte rendu de mon voyage en Afrique, et je m ’ exécutai avec joie. Je leur dis franchement comment l ’ ANC et le PAC étaient perçus dans les autres pays. A la fin de mon récit, je leur expliquai que je voulais que nous examinions certaines questions. Mais après nous avoir permis d ’ être ensemble, les autorités s ’ efforcèrent de nous séparer, Sobukwe et moi. Nous étions seuls dans des cellules tout au long d ’ un couloir et la sienne et la mienne se trouvaient aux deux extrémités.
Parfois, on nous laissait parler
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