Un long chemin vers la liberte
détention de quatre-vingt-dix jours pouvait être prolongée, comme l ’ expliqua Vorster de façon inquiétante, pendant toute la durée de « ce côté de l ’ éternité ». La loi transformait le pays en Etat policier ; aucun dictateur ne pouvait aspirer à plus de pouvoir que celui que cette loi donnait aux autorités. En conséquence, la police devint encore plus féroce : les prisonniers furent systématiquement battus et nous avons bientôt entendu parler de tortures à l ’ électricité, d ’ étouffement, etc. Au Parlement, Helen Suzman, la représentante du Parti progressiste, fut la seule à voter contre la loi.
On infligea des peines de plus en plus lourdes pour appartenance à une organisation illégale ; de cinq ans de prison jusqu’à la peine de mort pour ceux qui « favorisaient les objectifs » du communisme ou d’autres organisations interdites. Les prisonniers étaient à nouveau détenus, comme je le découvris en 1963, quand la peine de trois ans d’emprisonnement de Sobukwe s’acheva ; au lieu de le libérer, le gouvernement le remit en prison sans accusation, et l’envoya à Robben Island.
Vorster défendit aussi la Sabotage Act (Loi sur le sabotage), de juin 1962, qui permettait les assignations à résidence et des interdictions plus rigoureuses sans possibilité d ’ aller devant un tribunal, et qui limitait les libertés des citoyens comme dans les dictatures les plus fascistes. Les peines sanctionnant les actes de sabotage allaient d ’ un minimum de cinq ans de prison, sans possibilité d ’ appel, jusqu ’ à la peine de mort. La rédaction de la loi était si large que la possession illégale d ’ armes pouvait constituer un sabotage. Une autre loi interdisait la reproduction de toute déclaration faite par une personne sous le coup d ’ une interdiction. Les journaux n ’ avaient plus le droit de citer ce que je disais ou ce que j ’ avais dit. New Age fut interdit à la fin de l ’ année 1962, et la possession d ’ une publication interdite devenait une infraction passible de deux ans de prison. Le gouvernement prit également des dispositions pour permettre l ’ assignation à résidence, dont la victime la plus célèbre fut la militante politique blanche Helen Joseph.
54
Une nuit, vers la fin du mois de mai, un gardien est entré dans ma cellule et m ’ a ordonné d ’ emballer mes affaires. Je lui ai demandé pourquoi mais il ne m ’ a pas répondu. Dix minutes plus tard, il m ’ a escorté jusqu ’ au bureau d ’ entrée où j ’ ai retrouvé trois autres prisonniers : Tefu, John Gaetsewe et Aaron Molete. Le colonel Aucamp m ’ a informé sèchement que nous étions transférés. Où ? a demandé Tefu. Dans un très bel endroit, a répondu Aucamp. Où ? a répété Tefu. « Die Eiland », a dit Aucamp. L ’ île. Il n ’ y en avait qu ’ une. Robben Island.
On nous a enchaînés les uns aux autres et enfermés dans un fourgon sans fenêtres qui n’avait qu’un seau hygiénique. Nous avons roulé toute la nuit vers Le Cap, où nous sommes arrivés en fin d’après-midi. Ce n’est pas une tâche facile ni agréable pour des hommes enchaînés que d’utiliser un seau hygiénique dans un véhicule qui roule.
Les docks du Cap grouillaient de policiers en tenue et en civil. Toujours enchaînés, nous avons dû rester debout dans le cachot du vieux ferry de bois, ce qui était difficile parce que le bateau se balançait dans la houle. Seul un petit hublot laissait entrer l’air et la lumière. Le hublot servait aussi à autre chose : les gardiens s’amusaient à nous uriner dessus d’en haut. Il faisait encore jour quand on nous a fait monter sur le pont et c’est alors que nous avons vu l’île pour la première fois. Elle était verte et belle et ressemblait plus à une station balnéaire qu’à une prison.
Esiquithini. Sur l ’ île. C ’ est ainsi que les Xhosas décrivent l ’ étroite bande de rocher battue par les vents qui se trouve à vingt-sept kilomètres de la côte, devant Le Cap. Chacun sait de quelle île on parle. J ’ en ai d ’ abord entendu parler quand j ’ étais enfant. Les Xhosas connaissaient bien Robben Island depuis que Makana (aussi connu sous le nom de Nxele), qui mesurait un mètre quatre-vingt-quinze, le chef de l ’ armée xhosa, lors de la quatrième guerre xhosa, y avait été exilé par les Britanniques après avoir dirigé dix mille guerriers contre
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