Un long chemin vers la liberte
Grahamstown, en 1819. Il essaya de s ’ évader de Robben Island en bateau, mais il se noya avant d ’ atteindre la côte. Son souvenir est encore présent dans la langue de mon peuple qui, pour « espoir perdu », dit « Ukuza kuka Nxele ».
Makana ne fut pas le seul héros africain à avoir été enfermé dans cette île. En 1658, Autshumao, connu par les historiens européens sous le nom de Harry le Strandloper {19} fut exilé par Jan Van Riebeeck pendant une guerre entre les Khoi Khoi et les Hollandais. Je trouvais une consolation dans le souvenir d’Autshumao qui a la réputation d’être le premier et le seul prisonnier à s’être évadé de Robben Island, en ramant jusqu’à la côte dans un petit bateau.
L’île tire son nom d’un mot hollandais qui veut dire phoque, dont des centaines jouaient autrefois dans le courant glacé de Benguela qui coule le long de ses côtes. L’île avait par la suite été transformée en colonie de lépreux, puis en asile de fous et en base navale. Ce n’est que récemment que le gouvernement en avait fait de nouveau une prison.
Nous avons été accueillis par un groupe de gardiens blancs très costauds qui ont hurlé : « Dis die Eiland ! Hier julle gaan vrek ! » (Voici l ’ île ! C ’ est ici que vous allez mourir !) Devant nous, il y avait une enceinte flanquée d ’ un certain nombre de postes de garde. Des gardiens armés étaient alignés de chaque côté du chemin qui conduisait à l ’ enceinte. Il y avait une très forte tension. Un gardien très grand au visage rougeaud nous a crié : « Hier ek is you baas ! » (Ici, je suis votre baas !) C ’ était un des célèbres frères Kleynhans, connus pour leur brutalité envers les prisonniers. Les gardiens ne parlaient qu ’ en afrikaans. Si on leur répondait en anglais, ils disaient : « Ek verstaan nie daardie kaffirboetie se taal nie. » (Je ne comprends pas cette langue des copains des kaffirs.)
Tandis que nous nous dirigions vers la prison, les gardes ont hurlé : « Deux – deux ! Deux – deux ! » — ce qui voulait dire que nous devions marcher deux par deux. Je me suis mis à côté de Tefu. Les gardes se sont mis à crier : « Haak… Haak ! » le mot haak signifie « avancez » en afrikaans, mais en général on le réserve au bétail.
Les gardiens nous donnaient l’ordre de courir ; je me suis tourné vers Tefu et je lui ai dit entre mes dents que nous devions marquer le coup ; si nous cédions maintenant, nous serions à leur merci. Tefu approuva d’un signe de tête. Nous devions leur montrer que nous n’étions pas des criminels ordinaires mais des prisonniers politiques, punis pour nos convictions.
J ’ ai fait signe à Tefu pour lui dire que nous devions passer devant. Une fois en tête, nous avons nettement ralenti, en marchant de moins en moins vite et de façon délibérée. Les gardiens n ’ en croyaient pas leurs yeux. « Ecoutez, a dit Kleynhans, vous n ’ êtes pas à Johannesburg, vous n ’ êtes pas à Pretoria, vous êtes à Robben Island, et nous ne tolérerons pas l ’ insubordination. Haak ! Haak ! » Mais nous avons continué à marcher du même pas. Kleynhans nous a donné l ’ ordre de nous arrêter et il s ’ est planté devant nous : « Ecoutez, les mecs, on va vous tuer, on rigole pas, vos femmes, vos enfants, vos mères et vos pères ne sauront jamais ce qui vous est arrivé. C ’ est le dernier avertissement. Haak ! Haak ! »
Je lui ai répondu : « Faites votre devoir, nous faisons le nôtre. » J ’ étais bien décidé à ne pas céder, et nous n ’ avons pas cédé car nous étions arrivés aux cellules. On nous a fait entrer dans un bâtiment rectangulaire en pierre et on nous a conduits dans une grande pièce. Le sol était recouvert de plusieurs centimètres d ’ eau. Les gardiens ont hurlé : « Trek uit ! Trek uit ! » (Déshabillez-vous ! Déshabillez-vous !) Au fur et à mesure que nous enlevions un vêtement, les gardiens s ’ en saisissaient, le fouillaient rapidement et le jetaient dans l ’ eau. Puis ils nous ont ordonné de nous rhabiller, c ’ est-à-dire de remettre nos vêtements mouillés.
Deux officiers sont entrés. Le moins âgé, un capitaine, s’appelait Gericke. Nous avons vu immédiatement qu’il avait l’intention de nous maltraiter. Il a tendu le doigt vers Aaron Molete, le plus jeune de
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