Un long chemin vers la liberte
nous quatre, un homme très doux et très gentil, et il lui a dit : « Pourquoi est-ce que tu as les cheveux si longs ? » Aaron n’a rien répondu. Le capitaine a hurlé : « Je te parle ! Pourquoi est-ce que tu as les cheveux si longs ? C’est contre le règlement. Tu aurais dû avoir les cheveux coupés. Pourquoi est-ce qu’ils ne sont pas… » II s’est tourné vers moi, et il a dit : « …comme ceux de ce boy ? » Alors j’ai commencé à parler : « Ecoutez, la longueur de nos cheveux est déterminée par le règlement… »
Avant que j’aie pu finir, il a hurlé, stupéfait : « Ne me parle jamais sur ce ton, boy ! » et il s’est avancé. J’étais terrifié ; ce n’est pas une sensation agréable de savoir que quelqu’un va vous frapper et que vous êtes incapable de vous défendre.
Quand il est arrivé à quelques centimètres de moi, j’ai dit, aussi fermement que j’ai pu : « Si vous portez simplement la main sur moi je vous mènerai devant la plus haute cour de ce pays et quand j’en aurai fini avec vous, vous serez aussi pauvre qu’une souris d’église. » A l’instant où j’ai commencé à parler, il s’est arrêté, et à la fin de ma phrase, il me regardait étonné. J’étais surpris moi-même. J’avais eu peur et je n’avais pas parlé par courage mais un peu par bravade. Dans un moment semblable, il faut prendre un air audacieux malgré ce qu’on ressent au fond de soi.
« Où est ta fiche ? » m’a-t-il demandé, et je la lui ai tendue. Je voyais qu’il était inquiet. « Quel est ton nom ? » Je lui ai indiqué la fiche d’un signe de tête. « C’est écrit dessus. — Tu en as pour combien ? » De nouveau, j’ai montré la fiche. « C’est écrit dessus. » Il a baissé les yeux et a dit : « Cinq ans ! Tu en as pour cinq ans et tu es arrogant à ce point ! Tu sais ce que ça veut dire, tirer cinq ans ? » Je lui ai dit : « Ça me regarde. Je suis prêt à faire cinq ans mais je ne suis pas prêt à me laisser brutaliser. Vous devez agir en accord avec la loi. »
Personne ne lui avait dit que nous étions des prisonniers politiques, ni que j’étais avocat. Je ne l’avais pas remarqué, mais l’autre officier, un homme grand et calme, avait disparu pendant l’affrontement ; j’ai découvert plus tard qu’il s’agissait du colonel Steyn, le commandant de Robben Island. Le capitaine s’en alla plus calme qu’il n’était entré.
Nous nous sommes retrouvés seuls et Steve, qui avait les nerfs qui lâchaient, ne pouvait plus s’arrêter de parler.
« Nous avons provoqué les Boere {20} dit-il. On va passer un mauvais quart d’heure. » Au milieu de sa phrase, un type trapu, le lieutenant Pretorius, est entré. A notre grande surprise, il nous a parlé en xhosa, langue qu’il semblait assez bien connaître. « Nous avons regardé vos fiches, ce n’est pas mal. Tous, sauf la sienne, a-t-il dit en regardant Steve. Ta fiche est immonde. »
Steve a explosé. « Qui êtes-vous pour me parler comme ça ? Vous dites que ma fiche est immonde. Vous avez lu mon dossier, hein. Eh bien, vous verrez qu’on m’a infligé toutes ces condamnations parce que je luttais pour les droits de mon peuple. Je ne suis pas un criminel. Le criminel, c’est vous ! » Le lieutenant a averti Steve qu’il lui ferait un rapport si jamais il lui parlait de nouveau comme ça. Avant de partir, le lieutenant nous a dit qu’il nous mettait dans une grande cellule avec des fenêtres donnant sur l’extérieur, et il a ajouté d’un ton menaçant : « Mais je ne veux pas que vous parliez à quelqu’un par ces fenêtres, surtout toi, Mandela. »
On nous a emmenés dans notre cellule, une des plus vastes que j’avais connues, avec de grandes fenêtres, facilement accessibles. Par l’une d’elles, on pouvait voir d’autres prisonniers et des gardiens qui passaient. Cette cellule spacieuse était assez grande pour nous quatre et comportait des toilettes et des douches.
La journée avait été épuisante et au bout de quelques instants, après un souper de bouillie froide, les autres sont allés dormir. J’étais allongé par terre, sur ma couverture, quand j’ai entendu qu’on tapait à la fenêtre. J’ai levé les yeux et j’ai vu un Blanc qui me faisait signe derrière la vitre. Je me suis souvenu de l’avertissement du lieutenant et je n’ai pas
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