Un long chemin vers la liberte
contre qui les preuves étaient accablantes pouvaient-ils échapper à la peine de mort ?
Ce soir-là, après en avoir parlé entre nous, Walter, Govan et moi avons informé nos avocats que, quelle que soit la sentence, même la peine de mort, nous ne ferions pas appel. Notre décision les stupéfia. Nous pensions tous trois qu’un appel affaiblirait la position morale que nous avions prise. Dès le début, nous avions affirmé que ce que nous avions fait, nous l’avions fait fièrement, et pour des raisons morales. Nous n’allions pas maintenant laisser penser autre chose en faisant appel. Si l’on prononçait des condamnations à mort, nous ne voulions pas entraver la campagne de masse qui commencerait certainement. A la lumière de la ligne de témérité et de défi que nous avions suivie, faire appel aurait semblé contradictoire et même décevant. Nous voulions dire ainsi qu’aucun sacrifice n’était assez grand dans la lutte de libération.
Notre décision déplaisait à nos avocats, et ils voulaient absolument qu’on revienne dessus. Mais Walter, Govan et moi voulions parler de la procédure du lendemain. Si nous étions condamnés à mort, que se passerait-il ? On nous dit que, lorsque De Wet aurait prononcé la sentence, il me demanderait, en tant qu’accusé numéro un : « Avez-vous une raison à présenter selon laquelle la sentence de mort ne devrait pas être prononcée ? » J’expliquai à Bram, à Joel et à Vernon que, dans ce cas-là, j’aurais beaucoup de choses à dire. J’exposerais à De Wet que j’étais prêt à mourir parce que je savais que ma mort inspirerait la cause pour laquelle je donnais ma vie. Ma mort – nos morts – ne serait pas vaine ; nous servirions encore plus notre cause dans la mort, comme martyrs, que nous ne pouvions la servir dans la vie. Nos avocats nous dirent que ce genre de discours ne nous serait pas très utile pour faire appel, et je réaffirmai que nous ne ferions pas appel.
Même si – en particulier si – nous n’étions pas condamnés à mort, il y avait des raisons pratiques pour ne pas faire appel. Tout d’abord, nous pouvions perdre. Une cour d’appel pouvait décider que De Wet avait été trop indulgent et que nous méritions la peine de mort.
Un appel couperait l’herbe sous le pied à la pression internationale qui demanderait notre libération.
Pour l’accusation, une condamnation à mort serait la sentence la plus pratique. Nous avions appris que le ministre de la Justice, John Vorster, avait dit à des amis que la plus grande gaffe du Premier ministre Smuts pendant la Seconde Guerre mondiale avait été de ne pas l’avoir pendu pour haute trahison. Les nationalistes, avait-il ajouté, ne commettraient pas la même erreur.
J’étais prêt à subir la peine de mort. Pour être effectivement prêt à quelque chose, on doit s’y attendre vraiment. On ne peut être prêt à quelque chose si l’on ne croit pas secrètement que cela arrivera. Nous étions tous prêts à la mort, non pas parce que nous étions courageux mais parce que nous étions réalistes. J’ai pensé à ce vers de Shakespeare : « Soyez résolu devant la mort ; et la mort et la vie vous seront plus douces {24} . »
58
Le vendredi 12 juin 1964, nous sommes entrés dans le tribunal pour la dernière fois. Près d ’ un an avait passé depuis les arrestations fatales de Rivonia. Les mesures de sécurité étaient extrêmes. Notre convoi parcourut les rues toutes sirènes hurlantes. Les voies qui menaient au tribunal avaient été fermées à la circulation. La police contrôlait l ’ identité de tous ceux qui tentaient de s ’ approcher du palais de justice. Elle avait installé des points de contrôle aux arrêts de bus et dans les gares. Malgré les mesures d ’ intimidation, pas moins de deux mille personnes s ’ étaient rassemblées devant le tribunal en brandissant des banderoles et des panneaux où l ’ on pouvait lire : « Nous soutenons nos responsables. » A l ’ intérieur, la salle était comble et il ne restait de la place que pour la presse nationale et internationale.
J’ai fait un signe à Winnie et à ma mère. C’était réconfortant de les voir ; ma mère avait fait le voyage depuis le Transkei. Venir dans un tribunal pour savoir si son fils sera ou non condamné à mort doit créer une sensation étrange. Je soupçonnais ma mère de ne pas comprendre tout ce qui se passait,
Weitere Kostenlose Bücher