Un long chemin vers la liberte
voulaient nous armer de courage pour ce qui nous attendait.
HUITIÈME PARTIE
Robben Island
Les années sombres
59
A minuit, je ne dormais pas et je contemplais le plafond – les images du procès me couraient encore dans la tête – quand j ’ ai entendu des pas dans le couloir. J ’ étais seul dans ma cellule, séparé des autres. On frappa à ma porte et je vis le visage du colonel Aucamp entre les barreaux. « Mandela, me dit-il d ’ une voix rauque, tu es réveillé ? » Je lui répondis que oui. « Tu as de la chance. On t ’ emmène dans un endroit où tu seras libre. Tu pourras te déplacer à ta guise ; tu verras l ’ océan et le ciel, pas seulement des murs gris. »
Il ne se moquait pas mais je savais bien que l’endroit dont il me parlait ne m’offrirait pas la liberté dont je rêvais.
Puis il fit une remarque assez sibylline : « Tant que tu ne feras pas de problèmes, tu auras tout ce que tu voudras. »
Aucamp réveilla les autres, qui se trouvaient tous dans la même cellule, et il leur ordonna de préparer leurs affaires. Un quart d’heure plus tard, nous traversions le labyrinthe de fer de Pretoria Central, avec sa suite de portes métalliques bruyantes qui résonnaient dans nos oreilles.
A l’extérieur, on nous a mis les menottes à tous les sept – Walter, Raymond, Govan, Kathy, Andrew, Elias et moi – et on nous a entassés à l’arrière d’un fourgon cellulaire. Il était plus de minuit, mais nous n’étions pas fatigués, et l’ambiance n’était pas triste. Nous étions assis sur le plancher poussiéreux, chantant et nous rappelant les derniers moments du procès. Les gardiens nous ont donné des sandwiches et des boissons glacées et le lieutenant Van Wyck a grimpé à l’arrière avec nous. C’était un compagnon agréable qui, pendant une pause, nous a donné de lui-même son opinion sur l’avenir. « Vous, les gars, vous n’allez pas rester en prison très longtemps. La demande pour votre libération est trop forte. Dans un an ou deux, vous sortirez et vous reviendrez en héros nationaux. Les foules vous acclameront, tout le monde voudra être votre ami, les femmes voudront aller avec vous. Ag, vous avez réussi, les gars. » Nous l’avons écouté sans rien dire, mais j’avoue que ses commentaires m’ont redonné beaucoup de courage. Malheureusement, il se trompait de près de trois décennies.
Nous sommes partis discrètement, secrètement, avec une impressionnante escorte policière, au milieu de la nuit et, moins d’une demi-heure plus tard, nous nous sommes retrouvés sur un petit aérodrome de l’armée à l’extérieur de la ville. On nous a fait monter dans un Dakota, un gros avion de transport militaire qui n’était plus de la première jeunesse. Il n’y avait pas de chauffage et nous grelottions. Certains parmi nous n’avaient jamais pris l’avion et le voyage semblait plus les angoisser que la destination ; la perspective d’être ballotté dans tous les sens à quinze mille pieds leur semblait plus périlleuse que celle d’être enfermé dans une cellule derrière de hauts murs.
Après environ une heure de vol, l’aube a éclairé la terre en dessous. L’avion avait des hublots et dès qu’on a pu voir quelque chose dans la faible lumière, mes camarades ont pressé leur visage contre la vitre. Nous volions en direction du sud-est, au-dessus des étendues plates et desséchées de l’Etat libre d’Orange puis de la péninsule verdoyante du Cap. Je regardais moi aussi le paysage, pas en touriste mais à la recherche de régions où une armée de guérilla pouvait se cacher.
Depuis la fondation de MK, on avait discuté pour savoir si la campagne sud-africaine pouvait abriter une armée de guérilla. La majorité du Haut Commandement pensait que c’était impossible. Quand nous avons survolé une région montagneuse et boisée, le Matroosberg, dans la province du Cap, j’ai crié à mes compagnons que c’était le terrain idéal pour nous battre. Ils sont devenus tout excités en tendant le cou pour mieux voir et, effectivement, la forêt très dense semblait bien pouvoir abriter une force de guérilla naissante.
Quelques minutes plus tard, nous nous trouvions aux abords du Cap. Bientôt, nous avons vu les maisons boîtes d’allumettes des Cape Flats, les tours illuminées du centre ville et le sommet horizontal de la montagne de la Table. Puis, au milieu de la baie de la Table, dans les eaux
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