Un long chemin vers la liberte
cependant son soutien ne m’a jamais manqué. Winnie était tout aussi déterminée, et je puisais dans sa force.
Le greffier appela : « Procès de Mandela et autres. » Avant l’énoncé de la sentence, il y avait deux demandes d’indulgence, la première par Harold Hanson et l’autre par l’écrivain Alan Paton, qui était également président du Parti libéral. Hanson parla avec éloquence, en disant qu’on ne pouvait étouffer les doléances d’une nation, que les peuples trouvent toujours le moyen de les exprimer. « Ce ne sont pas leurs buts qui les ont rendus criminels, dit Hanson, ce sont seulement les moyens auxquels ils ont eu recours. » Hanson dit que le juge ferait bien de se rappeler que son propre peuple, les Afrikaners, avait utilisé l’action violente pour sa liberté.
Bien que Paton ne soutînt pas la violence, il dit que les accusés n’avaient eu qu’une alternative : « Courber la tête et se soumettre, ou résister par la force. » Il dit qu’on devait faire preuve de clémence envers les accusés, sinon l’avenir de l’Afrique du Sud serait compromis.
Mais De Wet ne semblait pas les écouter. Il ne leva pas les yeux et ne prit pas de notes pendant qu’ils parlaient. Il avait l’air perdu dans ses pensées. A l’évidence, sa décision était déjà prise ; il attendait seulement le moment de l’annoncer.
Il nous fit un signe de tête pour que nous nous levions. J ’ essayai de croiser son regard mais il ne regardait même pas dans notre direction. Il fixait un point à mi-distance. Il avait le visage très pâle, et il respirait de façon haletante. Nous nous sommes regardés et nous savions : ce serait la mort, sinon pourquoi cet homme habituellement calme aurait-il été si nerveux ? Et il prit la parole.
J’ai entendu beaucoup de choses au cours de ce procès, à propos des souffrances de la population non européenne. Les avocats ainsi que les accusés, qui sont tous des leaders de la population non européenne, m’ont dit qu’ils n’avaient eu comme motivation que de soulager ces souffrances. Je ne suis absolument pas convaincu que les motivations des accusés aient été aussi altruistes qu’ils voudraient le faire croire à la cour. En général, ceux qui organisent une révolution ont pour objectif de prendre le pouvoir et on ne peut écarter le rôle de l’ambition personnelle.
Il s’est arrêté un instant comme pour reprendre son souffle. La voix de De Wet, étouffée jusque-là, devint à peine audible.
La fonction de ce tribunal, comme celle de tout tribunal dans n’importe quel pays, est d’appliquer les lois de l’Etat dans lequel il exerce. Le crime dont les accusés ont été reconnus coupables, le crime principal, celui de conspiration, est par essence un crime de haute trahison. Ce n’est pas sous cette forme que l’accusation a décidé de poursuivre ce crime. Me souvenant de ce point et apportant à cette question la plus grande attention, j’ai décidé de ne pas prononcer de peine capitale qui, dans un cas comme celui-ci, serait la peine adaptée au crime. Mais conscient de mon devoir, je ne puis aller au-delà de cette attitude indulgente. Pour tous les accusés, la sentence sera l’emprisonnement à vie.
Nous nous sommes regardés en souriant. Il y avait eu un grand mouvement de surprise dans le tribunal quand De Wet avait annoncé qu’il ne nous condamnerait pas à mort. Mais il y eut beaucoup de consternation parmi l’assistance parce que certains spectateurs n’avaient pas pu entendre la sentence de De Wet. La femme de Dennis Goldberg lui cria : « Dennis, qu’est-ce que c’est ?
— La vie, lui cria-t-il en souriant. La vie. Vivre ! »
Je me suis tourné et j’ai fait un large sourire au public en cherchant le visage de Winnie et celui de ma mère, mais il y avait une grande confusion dans le tribunal, tous les gens criaient et la police poussait la foule dans tous les sens. Je ne les voyais pas. J’ai fait le salut de l’ANC en levant le pouce, alors que beaucoup de spectateurs se précipitaient à l’extérieur pour aller communiquer la sentence à la foule. Nos gardes ont commencé à nous pousser vers la porte qui conduisait au sous-sol, et j’ai eu beau chercher le visage de Winnie, je n’ai pas pu l’apercevoir avant de passer la porte.
On nous a mis les menottes et on nous a enfermés dans les cellules du sous-sol. Les gens à l ’ extérieur
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