Un long chemin vers la liberte
prisonniers qui avaient achevé leur peine et qui quittaient l’île, et par des contacts avec les visiteurs. Les prisonniers qui s’en allaient sortaient nos lettres en fraude dans leurs vêtements ou leurs bagages. Avec les visiteurs, la situation était encore plus dangereuse parce que le visiteur lui-même prenait un risque. Les gardiens n’avaient pas le droit de rester dans la pièce quand nos avocats venaient nous voir et parfois nous en profitions pour leur passer une lettre. On ne fouillait pas les avocats. Dans ces rencontres, nous communiquions aussi par écrit comme nous l’avions fait pendant le procès de Rivonia. Comme la pièce était truffée de micros, nous disions : « Veuillez transmettre à… », nous nous arrêtions pour écrire « O.T. », ce qui voulait dire Oliver Tambo, sur un morceau de papier, « … que nous approuvons son projet de réduire la taille de… » et nous écrivions « la direction nationale ».
En juillet 1966, par une note enveloppée dans du plastique et dissimulée au fond d’un fut de nourriture, nous avons appris que les hommes de la section générale avaient entamé une grève de la faim pour protester contre leurs conditions de détention. La note manquait de précision, et nous ne savions pas exactement si la grève avait commencé ni quelle en était exactement la raison. Mais nous soutenions toute grève de prisonniers quelle qu’en soit la raison. Nous avons passé le mot d’ordre entre nous et nous avons décidé d’une grève de soutien qui commencerait au repas suivant. Une grève de la faim consiste en une seule chose : ne pas manger.
A cause du décalage entre les communications, les prisonniers de la section générale n’ont sans doute appris notre participation à leur mouvement qu’un jour ou deux plus tard. Mais nous savions que la nouvelle les encouragerait. Les autorités leur disaient que nous ne prenions pas part à la grève et que nous étions en train de nous empiffrer de repas de gourmets. C’était classique : en cas de crise, les autorités lançaient à chaque fois une campagne de désinformation pour jouer d’une section contre une autre. Dans ce cas précis, l’ANC soutenait la grève à l’unanimité, contrairement à certains membres du PAC de la section générale.
Pendant notre premier jour de grève, on nous a servi des rations normales auxquelles nous avons refusé de toucher. Le deuxième jour, nous avons remarqué que les portions étaient plus importantes et qu’un peu de légumes accompagnaient notre gruau de maïs. Le troisième jour, au souper, on nous a donné des morceaux de viande juteuse. Le quatrième jour, la bouillie brillait de graisse et de gros morceaux de viande et des légumes fumaient dessus. Nous en avions littéralement l’eau à la bouche. Les gardiens souriaient quand nous refusions la nourriture. Malgré la tentation nous résistions, même si on nous faisait travailler dur à la carrière. Nous avons appris que dans la section principale des prisonniers s’évanouissaient et qu’on les transportait dans des brouettes.
On m’a convoqué dans le bureau du directeur pour un entretien avec le colonel Wessels. De telles rencontres étaient délicates car mes compagnons savaient que les autorités essaieraient de m’influencer pour que j’appelle à la fin de la grève. Wessels était un homme direct et il exigea de savoir pourquoi nous faisions une grève de la faim. Je lui expliquai qu’en tant que prisonniers politiques nous voulions changer nos conditions de détention, en prolongation de la lutte anti-apartheid. « Mais vous ne savez même pas pourquoi F et G font la grève », me dit-il. Je lui répondis que cela n’avait pas d’importance, que les hommes de F et de G étaient nos frères, et que notre lutte était indivisible. Il eut un mouvement d’impatience et me renvoya.
Le lendemain nous avons appris que les événements avaient pris un tour extraordinaire : les gardiens boycottaient eux aussi leur nourriture et refusaient d’aller dans leur cafétéria. Ils ne faisaient pas la grève pour nous soutenir, mais ils avaient décidé que si nous la faisions, pourquoi pas eux aussi ? Ils exigeaient une meilleure nourriture et de meilleures conditions d’existence. L’addition des deux grèves dépassait les autorités. Elles se mirent d’accord avec les gardiens et, un jour ou deux plus tard, nous avons appris qu’elles avaient demandé
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