Un long chemin vers la liberte
questions familiales essentielles.
Les règlements que devait respecter Winnie à chaque visite étaient nombreux et compliqués. Elle ne pouvait pas venir en train ou en voiture, seulement en avion, ce qui rendait le voyage beaucoup plus coûteux. Elle devait emprunter le chemin le plus court pour aller de l’aéroport à Caledon Square, le commissariat de police de la ville, pour y signer un certain nombre de documents. Elle devait y repasser au retour pour signer d’autres papiers.
J’avais aussi appris par une coupure de presse qu’un officier de la Special Branch avait pénétré chez nous, à Orlando, alors que Winnie était en train de s’habiller ; elle s’était mise en colère et avait chassé le policier de la chambre. Il l’avait accusée de l’avoir frappé et j’avais demandé à mon collègue et ami George Bizos de la défendre, ce qu’il avait fait. Nous avions lu cela dans les journaux et certains se moquaient de moi à cause du caractère belliqueux de Winnie. « Tu n’es pas le seul boxeur de la famille, Madiba », me disaient-ils.
Cette seconde visite devait durer une demi-heure et nous avions beaucoup de choses à discuter. Winnie était un peu troublée par la façon dont on l’avait traitée au Cap et par le fait que, comme toujours, elle avait dû voyager dans la cellule du ferry, où la fumée du moteur la rendait malade. Elle avait mis beaucoup de soin à s’habiller pour moi, mais elle me sembla maigre et fatiguée.
Nous avons parlé de la scolarité des enfants, de la santé de ma mère, qui n’allait pas très bien, et de nos finances. La scolarité de Zeni et de Zindzi posait un grave problème. Winnie les avait inscrites dans une école destinée aux Indiens, et les autorités harcelaient le directeur sous prétexte que l’école violait la loi en acceptant des élèves africaines. Nous avons pris la décision difficile d’envoyer les filles dans un pensionnat au Swaziland. C’était dur pour Winnie, qui trouvait en elles son plus grand réconfort. Le fait qu’elles auraient ainsi une meilleure formation me consolait un peu mais je m’inquiétais pour Winnie. Elle se retrouverait seule et serait la proie facile de gens qui cherchaient à la décourager en se faisant passer pour des amis. Winnie avait tendance à faire confiance aux gens.
Afin de contourner l’interdiction de parler de questions non familiales, nous utilisions des noms dont les gardiens ignoraient la signification. Si je voulais savoir comment allait vraiment Winnie, je lui demandais : « As- tu eu des nouvelles récentes de Ngutyana ; elle va bien ? » Ngutyana est un des noms de clan de Winnie, mais les autorités ne le savaient pas. Alors elle me disait comment allait Ngutyana. Si le gardien nous demandait qui était Ngutyana, elle disait qu’il s’agissait d’une cousine. Si je voulais savoir comment se déroulait la mission extérieure de l’ANC, je lui demandais : « Comment va l’église ? » Winnie me parlait de « l’église » en termes appropriés et je lui demandais : « Comment vont les prêtres ? Est-ce qu’ils ont de nouveaux sermons ? » Nous improvisions et nous réussissions ainsi à échanger beaucoup d’informations.
Comme toujours, quand le gardien criait : « C’est l’heure ! », je croyais qu’il ne s’était passé que quelques minutes. Je voulais embrasser la vitre pour lui dire au revoir mais je me contenais. J’ai toujours préféré que Winnie s’en aille la première pour qu’elle ne voie pas les gardiens qui m’emmenaient et je la regardais me murmurer un adieu en dissimulant sa douleur.
Après la visite, je repassai tous les détails dans ma tête : comment elle était habillée, ce qu’elle avait dit, ce que j’avais dit. Puis je lui écrivis une lettre pour revenir sur certains détails de notre discussion et lui rappeler à quel point je l’aimais, à quel point elle était courageuse et le lien qui nous unissait était fort. Je considérais mes lettres à la fois comme des lettres d’amour et comme la seule façon de lui donner le soutien affectif dont elle avait besoin.
Peu de temps après sa visite, j’ai appris que Winnie était accusée de ne pas être repassée au commissariat à son retour au Cap et d’avoir refusé de fournir son adresse quand elle était partie. Elle l’avait déjà donnée au ferry et on la lui avait redemandée au moment du départ ; elle avait refusé en
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