Un long chemin vers la liberte
trois représentants de la section générale afin de négocier des changements. Les prisonniers crièrent à la victoire et arrêtèrent la grève de la faim. Nous avons fait de même le lendemain.
Ce fut la première grève de la faim sur l’île et celle qui remporta le plus grand succès. En tant que forme de protestation ce genre de grèves ne réussissait pas souvent et ce qui les animait me semblait un peu don-quichottesque. Pour qu’une telle grève réussisse, il faut que le monde extérieur soit au courant. Sinon les prisonniers meurent simplement de faim sans que personne ne le sache. Faire sortir la nouvelle incitait les journaux à en parler, ce qui entraînait des pressions de la part de groupes de défense. Pendant les premières années, il était à peu près impossible d’alerter les gens à l’extérieur sur le fait que nous entamions une grève de la faim.
Pour moi, ce genre de manifestation était beaucoup trop passif. Nous qui souffrions déjà, nous mettions notre santé en danger et nous risquions même la mort. J’ai toujours préféré un mode de protestation beaucoup plus actif, comme les arrêts de travail, les grèves de lenteur, ou le refus de nettoyer ; des actions qui pénalisaient les autorités et non pas nous-mêmes. Elles voulaient du gravier, nous n’en produisions pas. Elles voulaient que la cour de la prison soit propre, elle était sale. Ce genre de comportement les désolait et les exaspérait, mais je pensais qu’elles n’étaient pas mécontentes de nous voir affamés.
Mais au moment de prendre une décision, j’étais souvent mis en minorité. Mes camarades se moquaient même de moi en disant que je ne voulais pas manquer un repas. Les défenseurs de la grève de la faim soutenaient qu’il s’agissait d’une forme de protestation traditionnellement acceptée et qui avait été utilisée dans le monde entier par des responsables de premier plan comme le Mahatma Gandhi. Mais quand la décision était prise, je la soutenais aussi sincèrement que ceux qui l’avaient défendue. En fait, au cours des grèves, j’étais souvent obligé de sermonner certains camarades qui ne voulaient pas respecter notre décision. Je me souviens d’un homme qui me disait : « Madiba, je veux manger. Je ne vois pas pourquoi je devrais jeûner. Ça fait tellement d’années que je suis dans la lutte. »
Certains camarades mangeaient souvent en cachette. Nous le savions pour une raison simple : à partir du deuxième jour d’une grève de la faim, personne n’a plus besoin d’aller aux toilettes. Pourtant, le matin on pouvait y trouver un camarade. Nous avions notre service de renseignements parce que nous savions que certains étaient faibles sur le chapitre de la nourriture.
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Au milieu de la grève de la faim de juillet 1966, je reçus la seconde visite de ma femme. C ’ était presque deux ans après sa première visite, et elle faillit ne pas avoir lieu. Depuis 1964, Winnie avait été harcelée en permanence. La police persécutait ses sœurs et son frère et les autorités essayaient d ’ interdire à tous les membres de sa famille de vivre avec elle. J ’ appris cela par bribes à l ’ époque et j ’ en découvris l ’ essentiel plus tard. J ’ étais au courant des choses les plus désagréables parce qu ’ en rentrant de la carrière je trouvais souvent sur mon lit des articles sur Winnie, très bien découpés, que des gardiens avaient posés là anonymement.
Par des méthodes mesquines et méchantes, les autorités faisaient tout pour rendre les voyages de Winnie très désagréables. Au cours des deux années précédentes, à cause de magistrats locaux et d ’ interdictions répétées qui l ’ empêchaient de voyager, elle n ’ avait pas pu me rendre visite. J ’ avais appris récemment par un avocat que la police avait informé Winnie qu ’ elle ne pourrait venir me voir que si elle avait un pass. Winnie, qui s ’ opposait depuis 1950 à la politique du gouvernement sur le pass des femmes, avait refusé carrément d ’ avoir ce document qu ’ elle exécrait. Les autorités essayaient manifestement de nous humilier elle et moi. Mais je pensais qu ’ il était plus important que l ’ on essaie de se voir, plutôt que de résister aux manœuvres mesquines du pouvoir, et Winnie accepta le pass. Elle me manquait vraiment beaucoup et j ’ avais besoin de sa présence pour me rassurer ; en outre, nous devions parler de
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