Un long chemin vers la liberte
tard, le vieil homme vint trouver Mac tout content. Il était finaliste du concours ; est-ce que Mac lui rédigerait un autre texte ? En retour, le gardien lui promit un poulet. Mac lui répondit qu’il allait y réfléchir.
Le lendemain, Mac vint nous trouver, Walter et moi, pour nous expliquer la situation. Walter l’encouragea à accepter le poulet et j’appréciai son hésitation, parce que cela semblait vouloir dire qu’il bénéficiait d’un traitement de faveur. Ce soir-là, il dit au gardien qu’il rédigerait le texte en échange d’un paquet de cigarettes. Le gardien accepta et le lendemain soir, il lui en offrit un qu’il venait d’acheter.
Le lendemain, Mac nous a expliqué qu’il avait maintenant un moyen de pression sur le gardien. Comment ? lui avons-nous demandé. « Parce qu’il y a ses empreintes sur le paquet de cigarettes, a dit Mac, et je vais le faire chanter. » Walter s’est écrié que c’était immoral. Je n’ai pas critiqué Mac, mais je lui ai demandé ce qu’il demanderait au gardien. Mac a levé les sourcils. « Des journaux », a-t-il dit. Walter et moi, nous nous sommes regardés. Je pense que Walter était le seul homme sur Robben Island qui aimait les journaux autant que moi. Mac avait déjà discuté de son plan avec le comité de communication et, malgré nos réserves sur les méthodes de Mac, nous ne l’avons pas arrêté.
Cette nuit-là, Mac a dit au vieux gardien qu’il avait ses empreintes sur le paquet de cigarettes et que s’il ne collaborait pas, il le montrerait au commandant. De peur de perdre son emploi et sa retraite, le gardien a accepté tout ce que lui a demandé Mac. Pendant les six mois suivants, jusqu’à ce qu’il soit transféré, il a apporté en fraude le journal du jour à Mac. Ce dernier faisait un résumé des nouvelles qu’il rédigeait sur une petite feuille de papier et faisait circuler ensuite parmi nous. En outre, le malheureux gardien n’a pas gagné le concours.
A la carrière, il serait difficile de dire ce qui nous occupait le plus : le travail ou la discussion. A partir de 1966, les gardiens adoptèrent une attitude de laisser-faire : nous pouvions parler autant que nous le voulions dans la mesure où nous travaillions. Nous nous réunissions en petits groupes, quatre ou cinq en cercle, et nous parlions toute la journée, de n’importe quoi. Nous menions une conversation permanente sur les sujets les plus graves et les plus futiles.
La prison n’offre absolument rien d’agréable – sauf une chose : on a le temps de penser. Dans le tourbillon de la lutte, quand on réagit continuellement à des situations changeantes, on a rarement l’occasion de réfléchir attentivement à toutes les conséquences de ses décisions ou de sa politique. La prison donne du temps – plus qu’il n’en faut – pour réfléchir à ce qu’on a fait et à ce qu’on n’a pas fait.
Nous étions plongés en permanence dans des débats politiques. Certains trouvaient leur solution en une journée, d’autres duraient des années. J’ai toujours aimé les débats et j’y participais volontiers. Une de nos plus anciennes et de nos plus longues discussions concernait les relations entre l’ANC et le Parti communiste. Certains, en particulier les soldats de MK qui avaient suivi un entraînement dans les pays socialistes, croyaient que les deux organisations n’en formaient qu’une. Certains anciens membres de l’ANC comme Govan Mbeki et Harry Gwala le pensaient eux-mêmes.
A Robben Island, le Parti communiste n’existait pas en tant qu’entité séparée. En prison, il n’était pas nécessaire de marquer la même différence entre l’ANC et le SACPO qu’à l’extérieur. Mes conceptions sur le sujet n’avaient pas changé depuis des années. L’ANC était un mouvement de libération de masse qui accueillait tous ceux qui avaient les mêmes objectifs.
Au fil des années, ce débat s’envenima. Un certain nombre d’entre nous proposèrent un moyen pour trouver une solution : écrire à l’ANC en exil à Lusaka. Nous avons mis au point un document secret de vingt-deux pages, avec une lettre de présentation que j’ai écrite, pour l’envoyer à Lusaka. Préparer et faire sortir en fraude un tel document était une manœuvre risquée. A la fin, Lusaka confirma la séparation de l’ANC et du Parti communiste et la discussion s’épuisa.
Un autre débat politique revenait sans cesse
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