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Un long chemin vers la liberte

Un long chemin vers la liberte

Titel: Un long chemin vers la liberte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nelson Mandela
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juges ont accepté à contrecœur.
    J’ai commencé à rendre compte du tabassage récent dans la section générale. Je leur ai fait part des détails qu’on m’avait rapportés, de la violence des coups et de la dissimulation du crime. J’ai remarqué que Badenhorst était mal à l’aise et qu’il s’agitait. Quand j’eus terminé de décrire l’incident, il est intervenu de façon bourrue et agressive   : « Avez-vous vraiment été témoin de ce tabassage   ? » Je lui ai répondu calmement que non, mais que je faisais confiance à ceux qui me l’avaient raconté. Il a grogné et m’a secoué un doigt sous le nez. « Attention, Mandela, a-t-il dit. Si vous parlez de choses que vous n’avez pas vues, vous allez vous attirer des ennuis. Vous voyez ce que je veux dire. »
    J’ai ignoré les remarques de Badenhorst et je me suis adressé aux juges   : « Messieurs, vous voyez par vous-mêmes le type d’homme à qui nous avons à faire comme commandant. S’il peut me menacer ici, en votre présence, vous pouvez imaginer ce qu’il fait quand il n’y a personne. » Le juge Corbett s’est tourné vers les autres et leur a dit   : « Le prisonnier a raison. »
    Pendant le reste de l’entretien, j’ai énuméré nos plaintes à propos de la nourriture, du travail et des études. Badenhorst devait bouillir intérieurement, mais il n’en laissait rien paraître. A la fin, les juges m’ont remercié et je leur ai dit au revoir.
    Je ne sais absolument pas ce qu’ils ont dit ou fait, mais dans les mois qui ont suivi, Badenhorst sembla avoir les mains liées. La rigueur diminua, et trois mois après la visite des juges, nous avons appris qu’il allait être muté.
    Quelques jours avant son départ, on m’a convoqué. Le général Steyn visitait l’île et voulait savoir si nous avions des plaintes à formuler. Badenhorst se trouvait là quand j’ai énuméré une liste de réclamations. A la fin, il m’a parlé directement. Il m’a dit qu’il quittait l’île et il a ajouté   : « Je veux simplement vous souhaiter bonne chance, à vous et à vos camarades. » Je ne sais pas ce qu’exprimait mon visage mais j’étais ahuri. Il avait parlé comme un être humain, en montrant un aspect de lui-même que je n’avais jamais vu. Je l’ai remercié pour ses bons vœux et je lui ai souhaité bonne chance dans ses entreprises.
    Par la suite, j’ai souvent pensé à cet instant. Badenhorst avait peut-être été le commandant le plus dur et le plus barbare que nous avions eu sur l’île. Mais ce jour-là, dans le bureau, il avait montré un autre aspect de sa personnalité, un aspect qu’il avait dissimulé mais qui existait néanmoins. C’était un rappel utile que tous les hommes, même ceux qui semblent les plus insensibles, ont un fond d’honnêteté et qu’ils peuvent changer si on sait les toucher. En définitive, Badenhorst n’était pas méchant   ; son inhumanité s’était développée en lui à cause d’un système inhumain. Il se conduisait comme une brute parce qu’on récompensait son comportement de brute.
    74
    On annonça que le colonel Willemse succéderait au colonel Badenhorst comme commandant. A sa nomination, je lui demandai un rendez-vous et j ’ allai le voir tout de suite après son arrivée. Ce n ’ était manifestement pas un progressiste mais, contrairement à son prédécesseur, il était poli et raisonnable. Nous espérions que l ’ administration de Badenhorst ne serait qu ’ un recul momentané de l ’ amélioration régulière de nos conditions.
    Les jeunes gardiens agressifs s’en sont allés avec Badenhorst et nous avons vite repris nos habitudes à la carrière et dans la section. Willemse était peut-être un homme raisonnable, mais il a été scandalisé en constatant qu’à la carrière nous passions plus de temps à parler qu’à travailler.
    Il n’était sur l’île que depuis une semaine qu’il m’a convoqué à son bureau. « Mandela, m’a-t-il dit franchement, il faut que vous m’aidiez. » Je lui ai demandé comment. « Vos hommes ne travaillent pas. Ils n’écoutent pas les ordres. Ils ne font que ce qui leur plaît. C’est une prison ici. Il doit y avoir de la discipline. Ce n’est pas bon seulement pour nous, mais aussi pour vous. Nous devons avoir de l’ordre, sinon ils vont nommer quelqu’un comme l’ancien directeur. »
    Ce que disait le colonel me semblait sensé. Je l’ai écouté et je lui ai dit que

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