Un long chemin vers la liberte
avant d’être amnistiés. Ils accusaient l’ANC de renier la déclaration de Harare qui exigeait une amnistie générale et sans conditions pour les prisonniers et les exilés politiques. L’un d’eux me dit : « Madiba, j’ai combattu le gouvernement toute ma vie, et maintenant je devrais lui demander pardon ? »
Je comprenais leurs arguments, mais ils manquaient de réalisme. Chaque soldat aimerait vaincre son ennemi sur le champ de bataille mais, dans ce cas précis, une telle victoire était inaccessible. La lutte avait lieu maintenant autour de la table des négociations. Je leur ai affirmé qu’ils ne faisaient pas avancer la cause en restant en prison. Ils pouvaient rendre de plus grands services à l’extérieur. A la fin, ils ont décidé d’accepter l’offre du gouvernement.
Début juin, je devais faire un voyage de six semaines en Europe et en Amérique du Nord. Avant de partir, j’ai rencontré Mr. De Klerk, qui voulait me parler de la question des sanctions. En me rappelant les changements qu’il avait accomplis en Afrique du Sud, il m’a demandé de ne plus appeler à une continuation des sanctions économiques. Nous avions conscience de ce qu’avait réalisé Mr. De Klerk mais, pour nous, les sanctions restaient le meilleur levier pour l’obliger à faire plus. Je savais que la Communauté européenne et les Etats-Unis étaient enclins à les adoucir à cause des réformes de Mr. De Klerk. Je lui ai expliqué que nous ne pouvions pas demander à ceux qui nous soutenaient de diminuer les sanctions tant qu’il n’aurait pas entièrement démantelé l’apartheid et qu’un gouvernement de transition ne serait pas en place. Si ma réponse l’a déçu, elle ne l’a pas surpris.
La première étape de notre voyage nous a conduits, Winnie et moi, à Paris, où nous avons été reçus de façon somptueuse par François Mitterrand et sa charmante femme, Danielle, qui soutenait l’ANC depuis longtemps.
Quoique ce ne fût pas mon premier voyage en Europe, les beautés du vieux continent m’ont de nouveau ravi. Je ne veux pas sous-évaluer les charmes de la Ville Lumière mais l’événement le plus important de mon séjour à Paris a été l’annonce par le gouvernement de la levée de l’état d’urgence. J’en étais heureux tout en sachant parfaitement que cette décision avait été prise pendant que je me trouvais en Europe afin de me couper l’herbe sous le pied au moment où j’allais demander la poursuite des sanctions.
Après des arrêts en Suisse, en Italie et aux Pays-Bas, je suis allé en Angleterre, où j’ai passé deux jours avec Oliver et Adelaide Tambo. L’étape suivante était les Etats-Unis, mais je devais revenir en Angleterre avant de rentrer en Afrique du Sud pour rencontrer Mrs. Thatcher. Cependant, par courtoisie, je lui ai téléphoné avant de partir, et elle m’a semoncé sévèrement mais avec les meilleures intentions du monde : elle m’a dit qu’elle avait suivi mes voyages et noté toutes les manifestations auxquelles j’avais assisté. « Mr. Mandela, avant que nous discutions de quoi que ce soit, je dois vous avertir que votre emploi du temps est trop chargé. Vous devez le diviser par deux. Même un homme qui n’aurait que la moitié de votre âge éprouverait des difficultés à répondre à autant de demandes. Si vous continuez ainsi, vous ne reviendrez pas vivant d’Amérique. C’est le conseil que je voulais vous donner. »
Depuis ma jeunesse, j’avais lu des choses sur New York, et finalement contempler la ville du fond de ces immenses canyons de verre et de béton, tandis que des millions de morceaux de papier tombaient du ciel, fut une expérience qui me coupa le souffle. On me dit qu’un million de personnes avaient assisté à notre passage dans les rues, et la vue de leur soutien à la lutte anti-apartheid et de leur enthousiasme me rendit humble. J’avais toujours entendu dire que New York était un endroit impitoyable, mais en cette première journée, j’ai ressenti le contraire.
Le lendemain, je suis allé à Harlem, quartier légendaire dans mon esprit depuis les années 50, où j’avais vu, à Soweto, les jeunes gens imiter la mode des élégants de Harlem. Comme le dit ma femme, c’est le Soweto de l’Amérique. M’adressant à une foule immense au Yankee Stadium, j’ai dit qu’un cordon ombilical impossible à couper reliait les Noirs d’Afrique du Sud et les Noirs d’Amérique, car
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