Un long chemin vers la liberte
une marche de cent mille personnes sur l’Union Building à Pretoria, imposant siège du gouvernement sud-africain, et un énorme rassemblement eut lieu sur les pelouses. Je dis à la foule qu’un jour nous occuperions ce bâtiment en tant que premier gouvernement démocratiquement élu d’Afrique du Sud.
Devant cette action de masse, Mr. De Klerk déclara que si l’ANC rendait le pays ingouvernable, le gouvernement pourrait être amené à faire des choix désagréables. J’avertis Mr. De Klerk que toute action anti-démocratique aurait de graves répercussions. Je lui dis que c’était à cause de telles menaces qu’il devenait urgent de mettre en place un gouvernement de transition.
Prenant exemple sur le succès de l’action de masse, un groupe de l’ANC décida d’une marche sur Bisho, la capitale du homeland du Ciskei, dans l’Eastern Cape, un bantoustan dirigé par le général Oupa Gqozo. Le Ciskei réprimait l’ANC depuis longtemps et, en 1991, le général Gqozo avait déclaré l’état d’urgence pour lutter contre ce qu’il appelait le terrorisme soutenu par l’ANC. Le matin du 7 septembre 1992, une marche de soixante-dix mille manifestants partit en direction du stade de Bisho. Quand un groupe essaya de passer par une brèche dans une clôture afin de prendre un chemin différent pour aller en ville, les soldats mal entraînés du homeland ouvrirent le feu sur les manifestants, tuant vingt-neuf personnes et en blessant plus de deux cents. Bisho rejoignit Boipatong comme synonyme de brutalité.
Un vieux proverbe dit que l’heure la plus sombre précède l’aube. De la même façon, la tragédie du Ciskei mena à la réouverture des négociations. Je rencontrai Mr. De Klerk pour trouver un terrain d’entente et éviter la répétition de Bisho. Nos négociateurs respectifs se réunirent régulièrement. Les deux côtés faisaient des efforts sincères pour que les négociations restent sur les rails et, le 28 septembre, Mr. De Klerk et moi nous retrouvâmes pour une rencontre au sommet.
Ce jour-là, nous avons signé un protocole d ’ accord définissant le cadre de toutes les négociations qui allaient suivre. Il créait un organisme indépendant pour contrôler les actions de la police et un mécanisme pour isoler les hostels, et interdisait le port d ’ « armes traditionnelles » dans les rassemblements. Mais la véritable importance du protocole d ’ accord résidait dans le fait qu ’ il sortait CODESA 2 de l ’ impasse. Finalement, le gouvernement acceptait une seule assemblée constituante élue qui adopterait une nouvelle constitution et servirait d ’ assemblée législative de transition pour le nouveau gouvernement. Il ne restait à négocier que la date de l ’ élection de l ’ assemblée et le pourcentage de la majorité pour prendre des décisions. Nous nous inscrivions maintenant dans le cadre qui menait le pays vers un avenir démocratique.
Le protocole d’accord demandait à l’Inkatha d’annoncer son retrait de toute négociation dans laquelle se trouvaient le gouvernement et l’ANC. L’accord rendit furieux le chef Buthelezi, qui rompit avec le Parti national et forma une alliance avec un groupe de responsables de homelands discrédités et de partis blancs de droite qui n’avaient comme seul souci que d’obtenir un homeland blanc. Le chef Buthelezi demanda l’abolition du protocole d’accord, la fin de la CODESA et la dissolution d’Umkhonto we Sizwe.
Tout comme il avait pris l’initiative sur la suspension de la lutte armée, Joe Slovo fit une nouvelle proposition controversée : un gouvernement d’unité nationale. En octobre, il publia un article dans lequel il écrivait que les négociations avec le gouvernement n’étaient pas des pourparlers d’armistice dans lesquels nous pouvions dicter nos conditions à un ennemi vaincu. Il faudrait sans doute des années à l’ANC pour contrôler les leviers du gouvernement, même après les élections. Un gouvernement de l’ANC aurait toujours besoin des fonctionnaires en poste pour diriger le pays. Joe proposait une « clause crépuscule » prévoyant un gouvernement d’unité nationale qui inclurait un partage du pouvoir avec le Parti national pendant une période précise, une amnistie pour les officiers de sécurité, et le respect des contrats des fonctionnaires. Le « partage du pouvoir » était un débat éculé dans l’ANC, où l’on considérait l’expression
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