Un long chemin vers la liberte
nombre de tasses. « En l ’ honneur de votre arrivée, nous avons acheté deux tasses neuves pour vous et pour Gaur, dit- elle. Les secrétaires portent le thé aux avocats mais vous et Gaur, vous prendrez votre thé vous-mêmes, comme nous. Je vous appellerai quand le thé arrivera et vous pourrez le prendre dans les tasses neuves. » Elle ajouta que je devais transmettre ce message à Gaur. Je lui étais reconnaissant pour toutes ses attentions, mais je savais que les « deux tasses neuves » qu ’ elle avait pris tant de soin à mentionner étaient la preuve de la barrière de couleur qui, d ’ après elle, n ’ existait pas. Les secrétaires partageaient peut-être le thé avec deux Africains, mais pas les tasses pour le boire.
Quand je répétai à Gaur ce qu ’ avait dit Miss Lieberman, je remarquai que son expression changeait tandis qu ’ il m ’ écoutait, comme lorsqu ’ une idée entre dans la tête d ’ un enfant espiègle. « Nelson, me dit-il, à l ’ heure du thé, ne t ’ inquiète pas. Fais exactement comme moi. » A 11 heures. Miss Lieberman nous informa que le thé venait d ’ arriver. Devant les secrétaires et quelques membres du cabinet, Gaur s ’ avança vers le plateau et, de façon ostensible, ignora les tasses neuves et en choisit deux anciennes, puis il versa généreusement du sucre, du lait et du thé. Il resta là pour boire, apparemment très content de lui. Les secrétaires regardaient Gaur avec de grands yeux et Gaur me fit un signe de tête comme pour me dire : « A ton tour, Nelson. »
J ’ étais dans l ’ embarras. Je ne voulais pas choquer les secrétaires ni laisser tomber mon nouveau collègue, aussi ai-je décidé de faire ce qui me semblait le plus prudent : je n ’ ai pas pris de thé. J ’ ai dit que je n ’ avais pas soif. Je n ’ avais que vingt-trois ans et je n ’ étais pas encore très sûr de moi comme homme, comme résident de Johannesburg ni comme employé d ’ un cabinet d ’ avocats blancs et j ’ ai trouvé que la voie médiane était la meilleure et la plus raisonnable. Les choses n ’ ont pas continué ainsi. Par la suite, à l ’ heure du thé, j ’ allais dans la petite cuisine du bureau et j ’ y prenais mon thé tout seul.
Les secrétaires n ’ étaient pas toujours attentionnées. Quelque temps plus tard, alors que j ’ avais une plus grande habitude du cabinet, je dictais une information à une secrétaire blanche quand un client blanc qu ’ elle connaissait est entré dans le bureau. Elle a eu l ’ air gênée et, pour montrer qu ’ un Africain ne lui dictait pas quelque chose, elle a pris six pence dans son porte-monnaie et m ’ a dit rapidement : « Nelson, vous voulez bien aller m ’ acheter du shampooing à la pharmacie ? » Je suis allé lui acheter son shampooing.
Au début, mon travail au bureau était très élémentaire. J ’ étais un mélange d ’ employé et de coursier. Je recherchais des documents, je les préparais, les classais et j ’ allais porter des papiers dans tout Johannesburg. Plus tard, j ’ ai commencé à rédiger des contrats pour des clients africains du cabinet. Cependant, même s ’ il s ’ agissait d ’ une tâche secondaire, Mr. Sidelsky m ’ expliquait quel était son but et pourquoi je la faisais. C ’ était un professeur généreux et patient et il cherchait non seulement à m ’ enseigner les détails de la loi mais aussi la philosophie qui la sous-tendait. Il avait une conception large de la loi et la considérait comme un outil qu ’ on devait utiliser pour changer la société.
Tout en me transmettant ses idées, Mr. Sidelsky me mettait en garde contre la politique. La politique, me disait-il, fait ressortir ce qu ’ il y a de pire en l ’ homme. C ’ était la source des problèmes et de la corruption et on devait la fuir à tout prix. Il me brossait un tableau effrayant de ce qui m ’ attendait si je m ’ égarais dans la politique, et il me conseillait d ’ éviter la compagnie d ’ hommes qu ’ il considérait comme des fauteurs de troubles et des agitateurs, en particulier Gaur Radebe et Walter Sisulu. Si Mr. Sidelsky respectait leurs capacités, il détestait leur engagement politique.
Gaur était vraiment un « fauteur de troubles » au meilleur sens du terme et c ’ était un homme influent dans la communauté africaine d ’ une façon que Mr. Sidelsky ne soupçonnait même pas. Il appartenait au Bureau consultatif
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