Un long chemin vers la liberte
parut sincèrement intéressé par notre démarche. Il s ’ appelait Walter Sisulu.
Il dirigeait une agence immobilière spécialisée dans les propriétés pour Africains. Dans les années 40, il y avait encore quelques zones, comme Alexandra et Sophiatown, où les Africains pouvaient acheter de petites propriétés. Dans certains quartiers, des Africains possédaient leur maison depuis plusieurs générations. Le reste des zones pour Africains, c ’ étaient les townships municipaux où se trouvaient les maisons boîtes d ’ allumettes pour lesquelles les résidents payaient un loyer au Conseil municipal de Johannesburg.
Le nom de Sisulu devenait important à la fois comme homme d ’ affaires et comme responsable local. Il représentait déjà une force dans la communauté. Il m ’ écouta très attentivement lui expliquer mes difficultés à Fort Hare, mon ambition de devenir avocat et mon intention de m ’ inscrire à l ’ université d ’ Afrique du Sud pour terminer ma licence par correspondance. Je négligeai de lui raconter les circonstances de mon arrivée à Johannesburg. Quand j ’ eus fini, il se renversa sur le dossier de sa chaise et réfléchit à ce que je venais de dire. Puis il me regarda une nouvelle fois et m ’ expliqua qu ’ il connaissait un avocat blanc avec lequel il travaillait, du nom de Lazar Sidelsky, qu ’ il considérait comme un homme convenable et progressiste. Sidelsky, dit-il, s ’ intéressait à la formation des Africains. Il lui parlerait de moi pour savoir s ’ il pouvait m ’ engager comme stagiaire.
A cette époque, je croyais que seules les études assuraient une bonne connaissance de l ’ anglais et le succès en affaires et, pour moi, il allait de soi que Sisulu était diplômé de l ’ université. Après avoir quitté le bureau, j ’ ai eu la surprise d ’ apprendre par mon cousin que Walter Sisulu n ’ avait pas fait d ’ études. C ’ était encore une leçon de Fort Hare que je devais oublier à Johannesburg. On m ’ avait appris qu ’ avoir une licence signifiait qu ’ on était un responsable et que pour être un responsable il fallait une licence. Mais à Johannesburg, j ’ ai découvert que beaucoup des responsables de premier plan n ’ étaient jamais allés à l ’ université. J ’ avais suivi tous les cours nécessaires pour l ’ obtention d ’ une licence, mais je n ’ avais jamais aussi bien parlé que beaucoup d ’ hommes que je rencontrais à Johannesburg et qui n ’ avaient même pas un certificat d ’ études.
Après quelques semaines passées chez mon cousin, je me suis arrangé pour emménager chez le révérend J. Mabutho de l ’ Eglise anglicane, dans la Huitième Avenue, dans le township d ’ Alexandra. Le révérend Mabutho était un Thembu, un ami de ma famille, un homme généreux et pieux. Son épouse, que nous appelions Gogo, était chaleureuse, affectionnée ; c ’ était aussi une excellente cuisinière très généreuse pour la nourriture. En tant que Thembu qui avait connu ma famille, le révérend Mabutho se sentait responsable de moi. « Nos ancêtres nous ont appris à partager », me dit-il une fois.
Mais je n ’ avais pas tiré de leçon de mon expérience à Crown Mines, parce que je ne racontai pas au révérend les circonstances de mon départ du Transkei. Cette omission eut des conséquences fâcheuses. Quelques jours après avoir emménagé chez les Mabutho, je prenais le thé avec eux quand arriva un visiteur. Malheureusement, leur ami était Mr. Festile,l ’ induna de la Chambre des mines. Nous nous sommes salués d ’ une façon qui semblait indiquer que nous nous connaissions. Nous n ’ avons pas parlé de notre précédente rencontre mais, le lendemain, le révérend Mabutho me prit à part et m ’ expliqua que je ne pouvais plus rester sous leur toit.
Je me maudis de ne pas lui avoir dit toute la vérité. Je m ’ étais déjà tellement habitué à me faire avoir que je mentais même quand ce n ’ était pas nécessaire. Je suis sûr que le révérend Mabutho n ’ y aurait pas attaché d ’ importance mais quand Festile l ’ avait mis au courant, il s ’ était senti trompé. Au cours de mon bref séjour à Johannesburg, j ’ avais laissé derrière moi un sillage de méfiance et, dans chaque cas, le mensonge revenait me hanter. Je pensais que je n ’ avais pas d ’ autre choix. J ’ avais peur, je manquais d ’ expérience et je savais que
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