Un long chemin vers la liberte
je n ’ étais pas parti du bon pied dans ma nouvelle vie. Dans ce cas précis, le révérend Mabutho me prit en pitié et me trouva un logement chez les voisins, la famille Xhoma.
Mr. Xhoma faisait partie de la petite élite de propriétaires africains d ’ Alexandra. Sa maison – au 46 de la Septième Avenue – était petite, en particulier parce qu ’ il avait six enfants, mais elle était agréable, avec une véranda et un jardin minuscule. Afin de joindre les deux bouts, Mr. Xhoma, comme beaucoup d ’ autres résidents d ’ Alexandra, prenait des locataires. Il avait construit une pièce à toit de tôle à l ’ arrière de sa maison, pas plus qu ’ une cabane, avec un sol de terre, sans chauffage, sans électricité, et sans eau courante. Mais j ’ étais chez moi, et cela me rendait heureux.
Sur la recommandation de Walter, Lazar Sidelsky avait accepté de m ’ engager comme stagiaire tandis que je terminais ma licence. Witkin, Sidelsky et Eidelman était un des plus grands cabinets d ’ avocats de la ville et traitait des affaires de Noirs et de Blancs. En plus des études de droit et de certains examens, pour devenir avocat en Afrique du Sud, on devait passer plusieurs années de formation dans un cabinet, ce qu ’ on appelle un contrat de stagiaire. Mais pour devenir stagiaire, je devais d ’ abord avoir ma licence. Pour cela j ’ étudiais le soir à l ’ UNISA, University of South Africa, une institution respectée qui proposait des cours par correspondance.
En plus des dossiers classiques, le cabinet Witkin, Sidelsky et Eidelman contrôlait des transactions immobilières pour des Sud-Africains. Walter amenait des clients qui avaient besoin d ’ une hypothèque, le cabinet s ’ occupait de leur dossier de prêt et prenait une commission qu ’ il partageait avec l ’ agent immobilier. En fait, le cabinet prenait la part du lion et ne laissait qu ’ une maigre rétribution à l ’ Africain. Les Noirs recevaient les miettes de la table et n ’ avaient pas d ’ autre choix que d ’ accepter.
Même ainsi, le cabinet était beaucoup plus libéral que la plupart des autres. C ’ était un cabinet dirigé par des juifs et, d ’ après mon expérience, j ’ ai toujours trouvé que les juifs avaient l ’ esprit plus ouvert que le reste des Blancs sur les questions raciales et politiques, peut-être parce qu ’ eux-mêmes ont été victimes dans l ’ histoire de préjugés. Le fait que Lazar Sidelsky, un des responsables du cabinet, engage un jeune Africain – quelque chose qui n ’ existait pas à l ’ époque – était la preuve de ce libéralisme.
Mr. Sidelsky, pour qui je finis par avoir le plus grand respect et qui me traitait avec énormément de gentillesse, était diplômé de l ’ université du Witwatersrand et avait une trentaine d ’ années quand je suis entré dans le cabinet. Il s ’ occupait d ’ éducation pour les Africains, en consacrant de l ’ argent et du temps à des écoles africaines. C ’ était un homme mince et affable, avec un trait de moustache, et il prenait un intérêt véritable à mon bien-être et à mon avenir, en insistant sur la valeur et l ’ importance de l ’ instruction – pour moi personnellement et pour les Africains en général. Seule l ’ éducation de masse, disait-il souvent, libérerait mon peuple, et il soutenait qu ’ un homme éduqué ne pouvait être opprimé parce qu ’ il pouvait penser seul. Il ne cessait de me répéter que devenir avocat, c ’ est-à-dire un modèle de réussite pour mon peuple, était la voie la plus noble que je pouvais suivre.
Le jour de mon arrivée au cabinet, j ’ ai rencontré la plupart des autres employés, y compris un autre Africain, Gaur Radebe, avec qui je partageais un bureau. Gaur avait dix ans de plus que moi et il était employé, interprète et coursier. Petit, trapu et musclé, il parlait très bien l ’ anglais, le sotho et le zoulou, autant de langues dans lesquelles il s ’ exprimait avec précision, humour et confiance. Il avait des opinions bien arrêtées et des arguments solides pour les étayer et c ’ était un personnage connu du Johannesburg noir.
Le premier jour, une agréable jeune secrétaire blanche, Miss Lieberman, me prit à part et me dit : « Nelson, il n ’ y a pas de barrière de couleur dans le cabinet. » Elle m ’ expliqua qu ’ en milieu de matinée celui qui préparait le thé arrivait avec un plateau et un certain
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