Un long chemin vers la liberte
mélange de Blancs, d ’ Africains, d ’ Indiens et de métis. Ces réunions étaient organisées par le Parti et la plupart des invités en étaient membres. Je me souviens de mon anxiété la première fois où j ’ y suis allé, surtout parce que je pensais que je n ’ avais pas la tenue adéquate. A Fort Hare, on nous avait appris à porter une cravate et une veste dans n ’ importe quelle cérémonie. Ma garde-robe était sévèrement limitée mais j ’ ai cependant réussi à trouver une cravate.
J ’ ai découvert un groupe de gens pleins d ’ entrain qui ne semblaient prêter aucune attention aux différences de couleur. Ce fut une des premières réunions mixtes auxquelles j ’ ai assisté, et je me conduisis bien plus en observateur qu ’ en participant. J ’ étais extrêmement timide, inquiet de commettre une maladresse et tout à fait incapable de participer aux conversations rapides et de haut niveau. Mes idées me semblaient infantiles comparées aux conversations raffinées.
A un moment de la soirée, on m ’ a présenté à Michael Harmel, qui avait un doctorat en anglais de la Rhodes University de Grahamstown. Cela m ’ impressionnait mais, quand je l ’ ai rencontré, je me suis dit : « Ce type a un doctorat et il ne porte même pas de cravate ! » Je n ’ arrivais pas à résoudre cette contradiction. Plus tard, Michael et moi sommes devenus amis et j ’ ai fini par l ’ admirer en grande partie parce qu ’ il rejetait beaucoup des conventions stupides que j ’ avais respectées autrefois. Ce n ’ était pas seulement un brillant écrivain, car son engagement communiste était si fort qu ’ il ne vivait pas très différemment d ’ un Africain.
10
La vie à Alexandra était merveilleuse et précaire. Il y avait une atmosphère vivante, un esprit aventureux, des gens ingénieux. Le township se vantait de posséder quelques beaux bâtiments mais on pouvait honnêtement le décrire comme un bidonville, le témoignage vivant de la négligence des autorités. Des rues non pavées et boueuses, remplies d ’ enfants affamés, sous-alimentés, qui couraient partout à demi nus ; la fumée épaisse des braseros et des poêles qui remplissait l ’ air. Il n ’ y avait qu ’ un seul robinet pour plusieurs maisons, et des flaques d ’ eau stagnante pleines de larves s ’ étalaient sur le côté de la route. On appelait Alexandra la « ville obscure » à cause de l ’ absence totale d ’ électricité. Il était dangereux de rentrer chez soi la nuit car il n ’ y avait pas de lumière, et des cris, des rires et parfois des coups de feu déchiraient le silence. Une obscurité fort différente de celle du Transkei qui semblait vous envelopper dans une étreinte de bienvenue.
Le township était désespérément surpeuplé ; chaque mètre carré était occupé soit par une maison délabrée, soit par une cabane au toit de tôle. Comme cela se passe trop souvent dans les endroits de grande pauvreté, les pires éléments étaient au premier plan. La vie ne valait pas cher ; la nuit, le revolver et le couteau faisaient la loi. Les gangsters – les tsotsis –, armés de couteaux à cran d ’ arrêt étaient riches et importants ; à cette époque, ils imitaient les vedettes du cinéma américain et portaient des borsalinos, des costumes croisés et des cravates aux couleurs vives. Les descentes de police rythmaient la vie à Alexandra. Régulièrement, elle arrêtait des quantités de gens pour infraction au pass, possession d ’ alcool ou non-paiement de la taxe individuelle. Presque à chaque coin de rue, il y avait des shebeens, des buvettes clandestines où l ’ on vendait de la bière de fabrication artisanale.
Malgré son aspect infernal, le township d ’ Alexandra était aussi une sorte de paradis, C ’ était un des rares endroits du pays où les Africains pouvaient devenir propriétaires et diriger leurs propres affaires, où les gens n ’ avaient pas à faire de courbettes devant la tyrannie des autorités municipales blanches, une terre promise urbaine, la preuve qu ’ une partie de notre peuple avait rompu les liens avec les régions rurales pour devenir des habitants permanents de la ville. Le gouvernement, afin de maintenir les Africains à la campagne ou au travail de la mine, soutenait qu ’ ils formaient par nature un peuple rural, inadapté à la vie citadine. Malgré ses problèmes et ses insuffisances, Alexandra lui
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