Un long chemin vers la liberte
modèle, avait appartenu à mon père, qui me l ’ avait laissé à sa mort. Je ne m ’ en étais jamais servi, mais je l ’ avais apporté en ville, par précaution.
Je ne pouvais pas laisser mon ami être accusé à ma place. Je suis entré à mon tour dans le commissariat et j ’ ai demandé à voir l ’ officier de service. On m ’ a conduit jusqu ’ à lui et je lui ai parlé aussi franchement que je le pouvais : « Monsieur, c ’ est mon revolver qu ’ on a trouvé dans la valise de mon ami. J ’ en ai hérité de mon père au Transkei et je l ’ ai apporté ici parce que j ’ avais peur des gangsters. » Je lui ai expliqué que j ’ étais étudiant à Fort Hare et que je me trouvais à Johannesburg de façon temporaire. L ’ officier s ’ est adouci un peu tandis que je parlais et il m ’ a dit qu ’ il allait libérer mon ami tout de suite. Il a ajouté qu ’ il devait m ’ inculper pour détention d ’ arme mais il ne m ’ arrêterait pas et je devrais me présenter au tribunal le lundi matin. Je lui étais reconnaissant et je lui ai dit que j ’ irais sans faute au tribunal le lundi. J ’ y suis allé et je n ’ ai été condamné qu ’ à une amende insignifiante.
Dans l ’ intervalle, je m ’ étais arrangé pour loger avec mon cousin, Garlick Mbekeni, dans le township de George Goch. Garlick était marchand ambulant et vendait des vêtements ; il habitait une petite maison « boîte d ’ allumettes ». C ’ était un homme gentil et attentif, et après avoir passé quelque temps chez lui, je lui ai expliqué que je voulais devenir avocat. Il m ’ a félicité en me disant qu ’ il allait y réfléchir.
Quelques jours plus tard, Garlick m ’ a emmené voir « un de nos meilleurs hommes à Johannesburg ». Nous avons pris le train et nous sommes allés voir un agent immobilier dans Market Street, une rue bruyante et animée avec des trams bourrés de passagers, des vendeurs à chaque pas et le sentiment que l ’ abondance et la richesse attendaient au coin de la rue.
A cette époque, Johannesburg était un mélange de ville frontière et de ville moderne. Des bouchers débitaient de la viande dans la rue devant un immeuble de bureaux. Des tentes se dressaient à côté des boutiques et des femmes étendaient leur linge près des gratte-ciel. L ’ industrie fonctionnait à plein à cause de l ’ effort de guerre. En 1939, l ’ Afrique du Sud, membre du Commonwealth britannique, avait déclaré la guerre à l ’ Allemagne nazie. Le pays fournissait des hommes et des biens à l ’ effort de guerre. Il y avait une grande offre d ’ emplois et Johannesburg était devenu un véritable aimant pour les Africains de la campagne qui cherchaient du travail. Entre 1941, date de mon arrivée, et 1946, le nombre d ’ Africains à Johannesburg a doublé. Chaque matin, l ’ agglomération semblait plus grande. Les hommes trouvaient des emplois dans les usines et habitaient dans les « townships pour non-Européens » de Newclare, Martindale, George Goch, Alexandra, Sophiatown et dans le Western Native township, un ensemble qui ressemblait à une prison, quelques milliers de maisons boîtes d ’ allumettes sur un terrain sans arbres.
Garlick et moi nous assîmes dans la salle d ’ attente de l ’ agence immobilière tandis qu ’ une jolie réceptionniste africaine nous annonçait à son patron. Après avoir transmis le message, ses doigts agiles recommencèrent à danser sur le clavier de sa machine à écrire, où elle tapait une lettre. Je n ’ avais jamais vu de dactylo africain, et encore moins une femme effectuant ce travail. Dans les rares bureaux où je m ’ étais aventuré à Umtata et à Fort Hare, les dactylos étaient toujours des Blancs et des hommes. J ’ étais particulièrement impressionné par cette jeune femme parce que les Blancs que j ’ avais vus taper à la machine ne se servaient que de deux doigts malhabiles.
Elle nous fit bientôt entrer dans le bureau, où l ’ on me présenta à un homme qui semblait proche de la trentaine, avec un visage agréable et intelligent, un teint assez clair et qui portait un costume croisé. Malgré son jeune âge, il me sembla avoir de l ’ expérience. Il était originaire du Transkei mais parlait l ’ anglais avec aisance. A en juger par sa salle d ’ attente bondée et son bureau encombré de piles de dossiers, c ’ était un homme occupé et prospère. Mais il ne nous pressa pas et
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