Un long chemin vers la liberte
du Western Native township, un organisme de quatre membres élus qui traitait avec les autorités les questions relatives aux townships. Si le Bureau avait peu de pouvoir, il avait un grand prestige. Et je découvris bientôt que Gaur était aussi un membre éminent de l ’ ANC et du Parti communiste.
Gaur était indépendant. Il ne traitait pas les employés du cabinet avec une politesse exagérée et il les réprimandait souvent pour leur façon de se comporter avec les Africains. « Vous nous avez volé notre pays, leur disait-il, et vous nous avez réduits en esclavage. Et maintenant vous nous faites payer les yeux de la tête pour qu ’ on récupère les plus mauvais morceaux. » Un jour, en revenant de course, j ’ entrai dans le bureau de Mr. Sidelsky et Gaur lui dit : « Regardez, vous restez assis là comme un seigneur pendant que mon chef fait vos courses. Ce devrait être l ’ inverse, mais un jour c ’ est ce qui se passera, on vous rejettera tous à la mer. » Gaur quitta la pièce et Mr. Sidelsky se contenta de hocher tristement la tête.
Gaur était l ’ exemple même d ’ un homme sans diplôme mais qui semblait infiniment plus formé que ceux qui quittaient Fort Hare avec des titres ronflants. Il était non seulement plus instruit, mais il avait aussi plus d ’ audace et plus d ’ assurance. J ’ avais l ’ intention de passer ma licence et d ’ entrer à la faculté de droit, mais je n ’ en ai pas moins appris auprès de Gaur qu ’ un diplôme n ’ était pas en soi une preuve de supériorité et ne signifiait rien si l ’ on n ’ allait pas faire ses preuves dans la société.
Je n ’ étais pas le seul stagiaire du cabinet Witkin, Sidelsky et Eidelman. Un garçon de mon âge, Nat Bregman, y entra peu après moi. Il était agréable, brillant et réfléchi. Il ne semblait absolument pas voir les différences de couleur et il devint mon premier ami blanc. Il avait des talents d ’ imitateur, et savait imiter Jan Smuts, Franklin Roosevelt et Winston Churchill. J ’ ai souvent sollicité son aide sur des questions de droit et de procédure et il m ’ a toujours été d ’ une aide indéfectible.
Un jour, à l ’ heure du déjeuner, nous étions assis dans le bureau et Nat a sorti des sandwiches. Il en a pris un et il m ’ a dit : « Nelson, attrape l ’ autre bout. » Je ne savais pas bien pourquoi il me demandait ça mais comme j ’ avais faim, j ’ ai obéi. « Maintenant, tire », a-t-il ajouté. J ’ ai tiré et le sandwich s ’ est déchiré en deux. « Maintenant, mange. » Comme je commençais à mâcher, Nat m ’ a dit : « Nelson, ce que nous venons de faire symbolise la philosophie du Parti communiste : partager tout ce que nous avons. » Il m ’ a annoncé qu ’ il était membre du Parti communiste et il m ’ a expliqué les rudiments de ce que défendait ce parti. Je savais que Gaur en était membre, mais il n ’ avait jamais essayé de me convertir. Ce jour-là et dans beaucoup d ’ autres occasions, j ’ ai écouté Nat prêcher les vertus du communisme et essayer de me persuader de rejoindre le Parti. Je l ’ écoutais, je lui posais des questions mais je ne me suis pas inscrit. Je n ’ avais nulle envie de rejoindre une organisation politique quelconque et je gardais toujours en tête les conseils de Mr. Sidelsky. J ’ étais aussi très pieux et l ’ hostilité du Parti communiste envers la religion me déroutait. Mais j ’ ai bien aimé ma moitié de sandwich.
J ’ appréciais la compagnie de Nat et nous sortions souvent ensemble, y compris à des conférences et à des réunions du Parti communiste. J ’ y allais surtout par curiosité intellectuelle. Je venais seulement de prendre conscience de l ’ histoire de l ’ oppression raciale dans mon propre pays et je considérais que la lutte en Afrique du Sud était purement raciale. Mais le Parti communiste voyait les problèmes de l ’ Afrique du Sud à travers les lunettes de la lutte des classes. Pour les communistes c ’ était une question de possédants opprimant les non-possédants. Cela m ’ intriguait mais ne me semblait pas correspondre à la situation du moment en Afrique du Sud. Cela s ’ appliquait peut-être à l ’ Allemagne, à l ’ Angleterre ou à la Russie, mais je ne trouvais pas que ça convenait au pays que je connaissais. Pourtant j ’ écoutais et j ’ apprenais.
Nat m ’ invita à de nombreuses soirées où se trouvait un
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