Un long dimanche de fiancailles
infirmité
incompréhensible, on était à la limite de croire
qu'elle se complaisait, par orgueil, dans une attitude adoptée
- dès l'abord pour éviter d'être grondée.
Ces idioties jusqu'à ce qu'un maigre barbu émette
l'idée affolante que Mathilde, vagabondant à une heure
tardive dans les couloirs de l'appartement familial, avait pu
surprendre papa et maman en train de se faire du bien.
Le
papa en question est haut de cent quatre-vingt-six centimètres
et pèse cent kilos. À l'époque de l'accident, il a trente-cinq ans, il fait peur.
Sans doute, le pauvre barbu, qui a reçu sa main dans la figure
erre encore entre le cimetière Montparnasse et la rue de la
Gaîté, quand on le voit zigzaguer sur le trottoir on lui
jette des sous.
Le
père de Mathilde ne s'est pas contenté de gifler un
prétendu psychologue, ni d'insulter des médecins qui,“
sortis de l'aspirine, ne savent rien". Il a laissé
tomber, ou plus que négligé son travail - une
entreprise de construction - pendant de longs mois. Il a transporté
Mathilde à Zurich, à Londres, à Vienne, à
Stockholm. Elle a beaucoup voyagé, entre quatre et huit ans,
mais sans voir du pays autrement que par des fenêtres
d'hôpitaux. Et puis, il a fallu se résigner. On a
expliqué à Mathilde la mieux placée pourtant
pour le savoir que les ordres de son cerveau n'allaient plus jusqu'à
ses jambes. Quelque part dans sa moelle épinière, le
courant était coupé.
Après
il y a eu l ' époque
où l'on croyait à n'importe quoi : le spiritisme,
la magie, les épingles dans des poupées achetées
au Bon Marché, le bouillon de trèfle à quatre
feuilles, les bains de boue. Et même, une fois, un
hypnotiseur : Mathilde, qui avait dix ans, tout à coup
s'est levée. Sa mère prétend qu'elle a fait un
pas, son père assure un demi, son frère Paul ne dit
rien mais n'en pense pas plus. Mathilde est retombée dans les
bras de papa et il a fallu appeler les pompiers pour la réveiller.
Déjà,
elle était très orgueilleuse, elle s'était
arrangée du mieux qu'elle pouvait avec elle-même. Elle
n'acceptait d'être aidée de personne, sauf pour son
bain, dans les endroits où l'on va seule. Sans doute
s'est-elle trouvée en difficulté plusieurs fois, sans
doute s'est - elle fait mal, mais l'expérience prise,
elle a toujours été capable de se débrouiller
partout avec ses bras et ses mains pourvu qu ' on
ait prévu où il faut de quoi s'accrocher.
Et
puis peu importe. Cela n'est pas intéressant. Mathilde à
d'autres vies, multiples et très belles. Par exemple, elle
peint de grandes toiles qu'elle exposera un jour et tout le monde
verra qui elle est. Elle peint des fleurs uniquement des fleurs. Elle
aime le blanc, le noir, le rouge fureur, le bleu du ciel, le beige
doux. Elle a des problèmes avec les jaunes, mais après
tout Vincent en avait aussi qui admirait tant Millet. Pour elle, les
fleurs de Millet resteront tendres et cruelles vivaces dans la nuit
des temps.
Dans
son lit où tout est possible Mathilde imagine souvent qu'elle
est l'arrière-petite-fille de Millet. Le coquin a fait une
bâtarde à sa coquine d'arrière-grand-mère.
Après avoir été femme de plaisir à
Whitechapel et tuberculeuse repentie, cette bâtarde, une grande
bringue à chignon torsadé, s'est entichée à
seize ans du grand-père de Mathilde et a su s'y prendre. Ceux
qui doutent de cette histoire, tant pis pour eux.
Une
autre vie, c'est les chats. Mathilde en a six, et Bénédicte
un, et Sylvain un, ce qui fait huit bonheurs dans la maison et pas
mal de petits chats et de petites chattes qu'on donne aux amis
méritants. Les chats de Mathilde s'appellent Uno, Due, Tertia,
Bellissima, Voleur et Maître Jacques. Aucun ne ressemble à
l'autre, sauf que tous supportent Mathilde, jamais ils ne la
regardent de travers. Le chat de Bénédicte, Camembert,
est le plus intelligent mais aussi le plus gourmand, il lui faudrait
un régime pour maigrir. La chatte de Sylvain, Durandal, est
une pécore, elle n'adresse même pas la parole à
Bellissima, sa fille, qui en souffre et ne la quitte pas d'un poil de
queue.
Mathilde,
qui appréhende toujours l'avenir, voudrait que les chats
vivent plus longtemps.
Il
y a un chien aussi, à la villa Poéma –
contraction de Paul et Mathilde -, mais lui, Pois-Chiche, c'est un
brave berger des Pyrénées, complètement sourd,
qui passe des matinées entières à courir après
les écureuils, uniquement pour les embêter, qui aboie
quand les gens
Weitere Kostenlose Bücher