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Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles

Titel: Un long dimanche de fiancailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sébastien Japrisot
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1898. Ni de
m'expliquer ce que c'est qu'une favouille, ni même comment on
choisit le nom et le prénom des enfants trouvés."
    Il
rit. “Tu me fais marcher. Mais quel rapport avec les
timbres-poste ? ”
    “Alors
là, c'est encore plus difficile, même pour moi. Tu ne
vas pas me croire. ”
    “
Mais oui, je vais te croire."
    Et
frotte, et frotte les petits petons.
    “Eh
bien, la semaine dernière, j'ai lu mot par mot, ligne par
ligne, page par page, plus de la moitié d'un catalogue en
anglais, gros comme ça, pour trouver sur quel timbre de la
reine Victoria figure l'un de ses deux prénoms secrets, Penoe.

    “Quel
est l'autre ? ”
    “
Anna. ”
    Il
sourit, les yeux vagues et grands de nostalgie, comme celui qui a
fait de belles misères à une Anna mémorable, du
temps de sa jeunesse pauvre, au quartier Latin.
    “
Papa, tu es ridicule quand tu ne m'écoutes pas."
    “
Alors, -je ne suis jamais ridicule. ”
    “
Quatre jours entiers, ça m'a pris ! ”
    C'est
vrai. La semaine dernière, Mathilde a passé quatre
jours à l'hôpital pour des examens dits de routine. Elle
se plongeait dans les ivresses philatéliques entre deux
tracasseries.
    “Et
tu as trouvé ? ”
    “Pas
encore. Je n'en suis qu'à la lettre L, dans 1e catalogue. À Leeward, exactement. Les îles Leeward, ou îles
Sous-le-Vent, sont une colonie britannique dans la mer des Caraïbes,
au nord de la Martinique, à l'est Puerto Rico. Tu vois que
c'est instructif, les timbre-postes. ”
    « Quel
besoin as-tu de savoir une chose pareille ? ”
    Il
s'est arrêté de lui malaxer les orteils. Il regrette
déjà sa question. Il connaît sa Matti, du moins
le croit-il mieux que personne. Il sait que partie si loin - ce soir, aux îles Sous-le-Vent -, elle ne s'arrêtera
plus, qu'il est temps de mettre à la cape. Au bout de la
dérision qu'elle affiche pour tout, qui s'enfle et s'enfle si
on la laisse aller, il n'y aura jamais que les larmes qu'elle
retient.
    « Une
chose pareille ne s'invente pas », répond Mathilde.
« Et les choses que ne s'inventent pas sont très
pratiques pour reconnaître le vrai du faux. En octobre quand je
suis allée voir Pierre-Marie, si j'avais su celle-là,
je lui aurais tout de suite cloué le bec »
    Elle
fait signe à son père de se rapprocher. Il s'assoit
près d'elle, au bord du lit. Elle veut qu'il se rapproche
encore, qu'il la prenne dans ses bras. Il la prend dans ses bras. Lui
aussi sent l'eau de lavande et le tabac blond, mais elle aime bien
c'est rassurant.
    Elle
dit, les yeux au plafond : «  U n
professeur d'Histoire envoie une lettre à un négociant
en vin de Bordeaux. Dans cette lettre figure l'énigme :
quel est l'origine du timbre-poste où le second prénom
de la reine Victoria est dévoilé ? Or
Pierre-Marie, d'emblée, affirme que la lettre est un faux, que
le pinardier se l'est envoyé à lui-même. »
    « Il
faut comparer les deux écritures » ; dit Papa.
    « Je
l'ai fait. Elles ne se ressemblent pas. Mais je ne connais l'écriture
du professeur d'Histoire que par cette lettre. Si le pinardier avait
simplement déguisé la sienne ? ”
    Mathieu
Donnay réfléchit, la joue de sa fille contre son
épaule, et puis il dit : “ Tu as raison, Matti. Si
ton pinardier n'est pas un fondu des timbres-poste, la lettre est
bien du professeur d'Histoire et Pierre-Marie est un âne. ”
    Maman
frappe à la porte de la chambre et entre sur ces belles
paroles. Elle dit à son mari : “Tu n'as même
pas fini ton dîner. Nous sommes comme des santons de Provence à
t'attendre pour le dessert. ” Et à Mathilde : “Qu'est-ce que vous êtes en train de mijoter derrière
mon dos, tous les deux ? ” Elle a
répété cela toute sa vie pour exorciser les
incertitudes, les culpabilités idiotes qui la tourmentent,
simplement parce que sa fille, à trois ans, est tombée
d'un escabeau.
    Plus
tard, seule dans son lit, tout près du sommeil, Mathilde
entend des éclats de voix, en bas. Il lui semble reconnaître
son père et Sylvain, mais ce n'est pas possible, jamais ils ne
se sont disputés. Elle doit déjà rêver.
Les voix s'estompent. Elle perçoit l'agonie du feu, dans la
cheminée. Elle rêve d'un champ de blé immense et
jaune jusqu'à l'horizon. Un homme la regarde, vers qui elle
va. Elle entend le craquement de ses propres pas qui écrasent
les blés, mais ce ne sont maintenant, autour d'elle, que des
fleurs, des grandes marguerites jaunes qui se multiplient et qu'elle
écrase en

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