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Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles

Titel: Un long dimanche de fiancailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sébastien Japrisot
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marchant. L'homme a disparu. Les tiges des fleurs
sont devenues si épaisses qu'elle ne peut plus rien voir. Elle
comprend l'erreur qu'elle a faite, elle n'aurait jamais dû
s'avancer ainsi, c'était des tournesols, elle le sait bien
maintenant, des tournesols plus hauts qu'elle, l'entourant de tous
côtés, dont elle casse rageusement les grosses tiges qui
saignent blanc à coups de pied, mais elle ne pourra jamais,
elle est sans force, elle ne pourra jamais, sa robe blanche est toute
sale, elle ne pourra jamais.
    Au
matin, juste en ouvrant les yeux, ayant rêvé qu'elle ne
pourrait pas quelque chose, ce qui n'est guère ses habitudes,
et aussi beaucoup d'autres bêtises dont elle ne se souvient
plus, elle voit un objet nouveau dans la pénombre de la
chambre, posé sur la table où elle dessine, écrit
et pleure quelque fois : la maquette bien malade d'un voilier
qui allait de San Francisco à Vancouver, quand elle n'était
pas née le Samara.
    Sa tête retombe souriante sur l'oreiller. Elle se dit Seigneur,
que pour son père et Petit Louis la nuit n'a pas dû être
triste.

    Dans l'après-midi, elle charge Sylvain de rapporter le voilier
au bar de la rue Amelot, avec un mot pour remercier l'ancien boxeur
de le lui avoir prêté pendant quelques heures, et
surtout d'avoir permis à son père de la surprendre une
fois encore.
    Sur le chemin du retour, Sylvain fait un crochet par la rue
Gay-Lussac et s'arrête devant la maison meublée où
Mariette Notre-Dame est descendue avec son petit Baptistin en février
1917.
    Les
propriétaires se souviennent parfaitement d'elle, même
si elle n'est restée chez eux que trois ou quatre semaines.
Elle avait sa chambre au premier étage. On lui permettait
d'utiliser la cuisine pour préparer les repas du bambin.
Plusieurs fois, ils l'ont invitée à leur table
mais elle n'a jamais accepté.
    Mariette
Notre-Dame, telle qu'ils la décrivent, était une très
jeune femme - guère plus de vingt ans - aux cheveux clairs en
chignon, aux grands yeux tristes, assez jolie mais ne faisant rien
pour le montrer. Elle venait de perdre son mari à la guerre
et, sauf de le dire à son arrivée, elle n'en parlait
pas. Elle n'était pas bavarde. Ses mains disaient seules
qu'elle venait de la campagne et avait travaillé dur depuis le
plus jeune âge. Elle ne sortait que pour acheter son nécessaire
ou promener l'enfant au jardin du Luxembourg. Baptistin, qu'elle
appelait Titou, avait onze mois et marchottait déjà. À deux occasions, emportant son fils, Mariette est partie pour la
journée “chez des amis”. Ce sont les seules fois
où les propriétaires l'ont vue dans une autre robe que
celle, grise et noire, qu'elle portait d'habitude.
    Elle
a donné son congé dans les premiers jours de mars,
disant que ses amis lui avaient procuré du travail et
l'hébergeraient le temps de se trouver un logis. Le matin où
elle a quitté la maison, insistant pour payer “le
dérangement de la cuisine", elle a demandé un taxi
pour la gare de l'Est mais elle n'a pas dit où elle allait, ni
laissé d'adresse où faire suivre son courrier, “
ne la sachant pas encore". De toute façon, elle ne
recevait pas de courrier. Le conducteur du taxi a encordé une
malle sur le toit de l'auto, rangé des valises et des sacs où
il pouvait, elle est partie avec son enfant et n'est jamais revenue.
    Deux
mois plus tard, en mai, une lettre pour elle est arrivée de
Dordogne. Les propriétaires l'ont gardée longtemps,
plus d'une année, se disant que, Mariette Notre-Dame, par
hasard dans le quartier passerait peut-être les voir, puis ils
se sont décidés à l'ouvrir. C'était le
faire-part officiel de la mort de son mari, trente ans, tué à
l'ennemi. Ils ont pensé que c'était bien triste, oui,
bien triste, mais que la pauvre dame était suffisamment
informée de son malheur, la lettre a fini dans le fourneau de
la cuisine.

    Dans
le train qui la ramène avec Sylvain vers Cap-Breton, Mathilde
arrive à la lettre M de son catalogue anglais de
timbres-poste. Elle renverse la tête sur le dossier de la
banquette. Elle a une sensation de froid, comme toujours quand son
cœur bat plus vite, mais c'est bon, c'est meilleur que de
gagner une partie de cartes, elle est submergée d ' orgueil
et de reconnaissance pour elle-même. Elle regarde avec une
confiance toute neuve, à travers la vitre, venir vers elle le
soleil des Landes.
    Sylvain
a été séparé de Bénédicte
pendant six semaines. Il la regrettait de plus en

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