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Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles

Titel: Un long dimanche de fiancailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sébastien Japrisot
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l'embrasser à
Poéma, Mathilde ne veut pas dormir, elle passe la nuit dans
son fauteuil. Bénédicte, avant quatre heures, est
debout pour préparer le café. Manech vient. Il porte un
pardessus de son père, il tient à la main une valise en
osier. Quand il embrasse Mathilde pour la dernière fois,
Bénédicte voit bien comme elle était naïve,
mais elle se détourne sans rien dire, et qu'est-ce que ça fait ?
    Manech
espérait se retrouver dans la marine, comme son père et
ses oncles jadis, comme Sylvain, mais ce sont les fantassins qui
manquent le plus, en 1916. Il est trois semaines en instruction, à
Bourges, puis envoyé au front. D'abord en renfort à
Verdun, ensuite en Picardie. Mathilde, chaque jour, écrit une
lettre, attend une lettre. Le dimanche, les Etchevery viennent à
Poéma, plus vieux de dix ans, au pas de Catapulte. On fabrique
ensemble un colis où l'on voudrait tout mettre, le manger, le
boire, le toit, le feu, le lac, le vent de l'Atlantique qui
ramènerait les Américains, tout, jusqu'aux paquets de
cigarettes à bouts dorés que la mère s'entête
à enfoncer dans les chaussettes qu'elle tricote, parce que
même si Manech ne fume pas, cela lui permettra toujours de se
faire des amis.
    Il
écrit que tout va bien, que tout va bien, qu'il attend une
permission, que tout va bien, une permission pour bientôt, que
tout va bien, que tout va bien, ma Matti, tout va bien, jusqu'en
décembre où brusquement sa voix se tait, mais Mathilde
continue de se persuader que tout va bien, il n'a pas écrit
mais c'est qu'il n'avait pas le temps, tout va bien, et Noël
passe, et c'est janvier 1917, elle reçoit enfin une lettre
qu'un autre a écrite pour lui, elle ne comprend pas, il dit
des choses si belles mais si étranges qu'elle ne comprend pas,
et un matin, le dimanche 28, Sylvain est là, qui arrive de
Bordeaux, il embrasse Bénédicte et il embrasse
Mathilde, si tristement, avec tant de mal à s'exprimer qu'il
fait peur, il a rencontré à la gare quelqu'un qui
revient de Soorts et lui a dit une chose terrible, et il doit
s'asseoir et il a son bachi à pompon rouge qu'il fait tourner
entre ses mains, et Mathilde voit ses yeux soudain emplis de larmes,
il la regarde à travers des larmes et il essaie de dire, il
essaie de dire -
    Sage,
Matti, sage.

    Janvier
1921.
    Il
n'étonnera personne, après l'évocation de ces
brûlants étés, que Mathilde, majeure depuis trois
jours, s'empresse d'acheter, sans discuter le prix, “ avec son
propre argent” - principalement la thésaurisation
avaricieuse, depuis l'enfance, de ses étrennes de Nouvel An et
le produit des tableaux qui fleurissent maintenant les bureaux du
banquier de Papa - un hectare d'un terrain mis en vente sur les bords
du lac d' Hossegor : le territoire de
Croquemitaine, disparu dans la tourmente, une jungle dont, malgré
les mimosas, les trois sœurs du défunt sont bien aise de
se séparer.
    Elle
apprend du même coup que Croquemitaine s'appelait lui aussi
Manex, de la grande famille des Puystegui de Bayonne, qu'il était
poète, auteur des Vertiges du Courant d'Huchet , qu'il
haïssait les gendelettres quels qu'ils fussent, mais surtout
ceux déjà sous un vrai toit à Hossegor, Justin
Boex dit Rosny Jeune et plus encore Paul Marguerite. Il est tombé
devant Verdun, sous les avalanches de gaz toxique, du printemps 16.
Envers et contre tous, il s'était refusé de raser sa
barbe. Son masque, disent ses trois sœurs, était une
passoire.
    Mathilde
n'a fait qu'apercevoir monsieur Rosny, mais son père l'a
emmenée souvent, quand elle était enfant, à la
villa Clair Bois de Paul Marguerite. Elle trouve Croquemitaine très
intransigeant, tant en ce qui concernait ses confrères plus
fortunés que les exigences de la fierté virile. Elle se
dit qu'on ne peut néanmoins juger quelqu'un qui vous a prêté
sa barque.
    À
peine l'acte signé chez le notaire, à Cap-Breton,
l'argent donné, les trois sœurs embrassées avec
reconnaissance, Mathilde se fait conduire par son père et
Sylvain sur les lieux de ses amours adolescentes. La cabane est là,
du moins ce qu'il en reste, et le peuplier, argenté entre
tous, a résisté à tous les vents. Mathilde,
maintenant qu'elle est adulte, se ferait fort de tout raconter.
Mathieu Donnay dit : “Epargne-moi tes souvenirs. Ce qui me
plaît ici, ce sont les mimosas et cet arbre avec ce triple M
sentimental qui me masque un peu ce que beaucoup de pères, je
ne suis pas le seul, ne souffrent pas

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