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Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles

Titel: Un long dimanche de fiancailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sébastien Japrisot
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entendu le lieutenant Estrangin dire : “Si on a la
chance de rester tranquille jusqu'à la nuit, on enverra du
monde ramener discrètement les quatre autres." Il faut
croire que la chance n'était pas avec nous, ce dimanche de
merde.
    Bref,
à onze heures, quelque chose comme ça, je repars de
Bingo pour n'importe quoi qu'on m'a demandé de faire,
rapporter ses cachous au guetteur d'une compagnie voisine ou un mot
gentil au sergent de l'ordinaire, j'ai oublié. Je laisse le
Bleuet en train de bâtir son bonhomme de neige, aussi pépère
que si le monde n'existait plus, et l'Eskimo bien planqué dans
l'abri qu'il s'est creusé pendant la nuit. Le paysan de la
Dordogne ne donnait aucun signe de vie depuis qu'il avait monté
l'échelle de tranchée, les bras liés dans le
dos, et qu'il s'était carapaté dans le noir. Cela, je
l'ai vu, j'étais là. Quand les fusées
éclairaient Bingo, j'ai vu Cet Homme ramper sur la droite,
vers un tas de briques qui émergeait de la neige. Je pense
qu'il a été tué le premier des cinq dans la nuit
du samedi, par les fusils-mitrailleurs ou les grenades. En tout cas,
quand on l'appelait, il n'a jamais répondu.
    Je
suis donc rentré à la tranchée vers midi. Le
temps s'était gâté, on se canardait comme aux
plus mauvais jours de l'automne. Les camarades m'ont dit : “Un
Albatros a mitraillé le bled, une fois, deux fois, trois fois,
en passant à quinze mètres au-dessus du sol, peut-être
moins. Pour essayer de le tirer, il aurait fallu sortir la moitié
du corps de la tranchée, ceux d'en face te coupaient en deux.

    L'Albatros,
c'est un zinc boche de 1915, avec un mitrailleur à l'arrière,
parce qu'à l'époque on ne tirait pas encore à
travers l'hélice, mais par un trou dans le fuselage. Et
j'imagine ce sale coucou qui vole au ras du sol, pour voir quel
bordel s'est installé entre les deux tranchées, et qui
revient, parce qu'il a repéré des Français dans
le bled, et qui repasse une seconde fois en crachant ses balles et en
tuant votre fiancé, et qui repasse une troisième fois,
en mitraillant tout, et là, tous mes camarades l'ont vu et me
l'ont raconté, dans la neige se dresse tout à coup un
gars, l'Eskimo, qui jette en l'air quelque chose avec sa main droite,
et c'est un citron, une grenade, et elle explose et emporte tout
l'empennage du biplan qui s'en va, comme une feuille morte, tomber à
un kilomètre de là et exploser lui aussi à
l'intérieur de ses lignes. Sûrement que mes camarades
ont dû crier bravo, mais pas tous, pas ceux qui ont vu l'Eskimo
fauché par les dernières balles de la pourriture de
mitrailleuse. Favourier, on me l'a dit, a crié : “La ferme, bande de cons ! Maintenant, planquez-vous  ! ”
    Et,
en effet, c'est sûrement à cause de cet Albatros que les
choses ont basculé, que ce dimanche a finalement tourné
à la tuerie. Jusque-là les Boches croyaient ce qu'on
leur avait crié de chez nous, que les cinq étaient des
condamnés, qu'ils étaient sans arme. Mais il y avait
tant de choses ensevelies sous la neige, l'Eskimo avait trouvé
une grenade.
    À
partir de ce moment, jusqu'environ deux heures, on n'a fait d'abord
que tirailler, il tombait quelques tomates, des bonhommes ont pris
des coups. Et puis, on ne tiraillait plus, il nous arrivait dans les
oreilles ce bruit de chariot qui annonce les gros noirs, les
chaudrons de l'enfer. Dans la fumée des explosions, on a vu
surgir dans le bled, les bras en l'air, couvert de neige et de boue,
ce Marseillais qu'on appelait Droit Commun. Il hurlait, tourné
vers la tranchée allemande, criant : “Je me rends, tirez pas ! ”
ou quelque chose de ce genre, parce qu'on ne s'entendait plus, mais
j'ai entendu quand même, près de moi, au parapet, un des
caporaux de la compagnie, Thouvenel, s' écrier : “Putain con, celui-là, il nous a trop fait chier, je me
le fais !” Ce caporal, que je n'aimais pas beaucoup parce
qu'il était ladre avec ses hommes, n'aurait pas manqué une boîte de singe à soixante
mètres. Avant que quelqu'un puisse le retenir, il a descendu
le Marseillais d'une balle en pleine nuque, le coup du boucher. Le
lendemain, quand tout a été fini et que le plus haut en
grade qui nous restait, le sergent-chef Favart, lui a demandé
pourquoi il avait fait ça, le kapo Thouvenel a répondu :
“Dans la neige, hier, quand tout allait bien, on a entendu ce
jean-foutre promettre aux Boches que s'ils lui ouvraient les fils de
fer et le traitaient bien, il leur

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