Un long dimanche de fiancailles
dirait combien nous étions
et l'endroit du téléphone et où étaient
planquées nos mitrailleuses. "Je ne sais pas. C'est
peut-être vrai.
En tout cas, voilà comment ils sont tous morts. Après,
l'artillerie boche bombardait à gros calibre notre première
ligne, sans même se gêner de démolir la sienne,
les fusées pour lui faire allonger le tir partaient de très
loin, on a compris que ceux d'en face avaient évacué
leur tranchée depuis un bon moment. Le capitaine Favourier a
ordonné d'évacuer la nôtre. On a emporté
trois tués, dont le lieutenant Estrangin, et peut-être
déjà une dizaine de blessés, on a quitté
Bingo en vitesse. Moi, je me suis occupé des blessés.
Quand je suis retourné à l'avant, peut-être une
demi - heure après, nos deux compagnies s'étaient
déportées, dans les tranchées, de trois cents
mètres plus à l'Est et ça tombait toujours, mais
quand même moins que sur Bingo. Alors le capitaine Favourier a
dit : “ Il faut nous rapprocher. Ces fumiers n'arrêteront
pas de pilonner avant qu'on soit à portée de mordre le
cul des leurs. ” C'est comme ça qu'en trois vagues, on
est parti au grand air.
On
est entré dans la première tranchée boche, qui
était vide, sans même prendre une mornifle. Dans la
seconde, les Teutons têtus avaient laissé, pour la
figuration, une demi-douzaine de sacrifiés, dont un feldwebel.
Deux se sont fait tuer, le feldwebel et les autres se sont rendus. Je
faisais partie de la deuxième vague. Quand je me suis trouvé
là, Parle-Mal avait déjà entraîné
la première sur la tranchée de soutien boche, à
deux cents mètres encore plus en avant, au flanc d'une butte
où elle traçait comme une cicatrice dans la neige. Il
restait sur le terrain les ruines d'une ferme, c'était le seul
abri des nôtres quand les mitrailleuses de chez Maxim se sont
mises à cracher.
Je
n'aime pas repenser à ça, mademoiselle Mathilde, encore
moins en parler. Et puis, à quoi ça sert ? Je vous dirai seulement qu'il nous a fallu jusqu'à la nuit
noire pour avoir cette tranchée pourrie et que sur la butte
nous avons laissé, tués ou blessés, plus de cent
bonhommes, un autre lieutenant et le capitaine Favourier. J'étais,
avec des camarades, penché sur Parle-Mal quand il agonisait.
Il m'a demandé, je n'ai pas compris tout de suite pourquoi, si
j'étais orphelin. Je lui ai répondu oui, depuis
longtemps. Il m'a dit : “Je m'en
doutais. ” Après il m'a dit :
“Tâche
de rester toujours double-pompe. Tu te feras moins chier. ” Il
a fait appeler le sergent-chef Favart, qui prenait le commandement de
ce qui survivait de nos deux compagnies. Je l'ai entendu lui dire ce
qu'il pensait de notre chef de bataillon, le commandant Lavrouye,
qu'on appelait La Trouille, puis quelque chose à propos d'un
ordre qu'il avait reçu avant l'attaque et d'un papier que La
Trouille avait gardé sous le bras, mais il s'est aperçu
qu'on était plusieurs à l'écouter, il nous a dit
d'aller nous branler ailleurs. Il était touché au
ventre. Des brancardiers l'ont emporté. Il est mort avant
d'arriver au poste de secours.
Avec
deux camarades, j'aipassé la nuit à
faire le va-et-vient entre nos anciennes positions et cette tranchée
allemande pour apporter à boire et toute la bouffe, française
ou boche, qu'on pouvait dénicher dans le secteur. Au petit
matin, la canonnade s'est tue. Il neigeait. Des bonhommes réclamaient
du tabac et de la gnôle. J ' ai dit comme d'habitude que
j'allais tuer père et mère pour leur trouver ça,
et c'est en le disant que j'ai compris subitement la question du
brave Parle-Mal. L'expression m'était devenue tellement
machinale que je n'en avais plus conscience. Aujourd'hui, quand elle
m'échappe, je pense au capitaine, ça me fait tout
drôle, un peu comme si c'était de lui que j'étais
orphelin.
Des
Terre-Neuves nous ont rejoints en première ligne un peu avant
midi. Ensuite des Écossais en kilt et tablier de cuir, des
Anglais et des Irlandais sont arrivés de l'arrière pour
nous relever sur toutes nos positions.
Ce
lundi soir, rendu au cantonnement, j'ai apporté la soupe au
sergent-chef Favart et aux caporaux pendant qu'ils dressaient l'état
des pertes. J ' ai entendu
qu'on détachait, à la date du samedi 6, les condamnés
à notre bataillon et qu'on les comptait parmi nos tués
au combat. Le caporal Chardolot l'a trouvé saumâtre, et
même que ça puait à plein nez l'ouverture d'un
parapluie. Le sergent-chef pensait
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