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Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles

Titel: Un long dimanche de fiancailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sébastien Japrisot
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mariage. Les cadeaux sont
vite faits. Mathilde reçoit D'Artagnan et Milady, Sylvain
Porthos, Bénédicte Athos, qu'elle s'obstine à
prononcer Camembert, et Maman hérite d'Aramis. Après
quoi, Durandal, guérie des passions amoureuses et repentie de
ses péchés, se consacrera désormais tout entière
à l'éducation de ses enfants.
    En
relançant l'hameçon par une nouvelle parution de son
annonce, même sans les espoirs débiles qu'elle avait mis
dans la première, Mathilde ne s'attendait pas à ce que
la pêche fût si maigre. Quatre lettres en tout, dont la
plus instructive n'est d'ailleurs pas liée à cet appel
et lui arrive adressée à Poéma.
    Des
trois autres, deux sont pour revendiquer la paternité du
surnom “Bingo Crépuscule".
    Un
caporal de la coloniale, dans les rangs de ceux qui ont pris la
tranchée aux Allemands en octobre 1916, a trouvé dans
un abri déserté à la hâte une peinture sur
bois, probablement celle d'un soldat anglais ou canadien à ses
moments de loisir, dont le verso constituait une excellente surface
pour une pancarte, il y a fait inscrire le nouveau nom des lieux
conquis.
    Un
correspondant de Château-Thierry, signant seulement “un
soldat de Mangin ”, affirme huit jours plus tard avoir tracé
de ses mains et de son propre chef, à la peinture noire, en
lettres bâtons, “Bing au Crépuscule” sur le
verso d'un tableau.
    Ils
sont au moins tous les deux d'accord sur le sujet de l'œuvre
d'art en question. En joignant leurs deux témoignages,
Mathilde arrive à se figurer, debout devant la mer, un
officier britannique en train de contempler un flamboyant coucher de
soleil, tandis que son grand cheval gris ou noir, à ses côtés,
broute paisiblement l'herbe rare, un palmier indiquant que la scène
pourrait se passer en Orient.
    La
troisième lettre est anonyme elle aussi, et d'une concision
étonnante :

    Mademoiselle,
    Célestin
Poux est mort au Chemin des Dames, en avril 1917, c'est plus la peine
de dépenser votre argent. Je l'ai bien connu.

    L'enveloppe
porte le cachet de Melun. L'écriture et la couleur rosâtre
du papier laisse supposer à Mathilde qu'il s'agit d'une dame
d'un certain âge.
    Reste
la lettre qui n'est pas une réponse à l'annonce. Elle
vient de loin. Elle lui est envoyée par Aristide Pommier, le
résineux à lunettes qu'elle a traité de
mange-merde à son mariage, le jouteur qui avait plaisir à
tomber à l'eau.

    Aristide
Pommier,
    550,
côte des Neiges,
    Montréal,
Canada.
    18
juin 1924.

    Chère
mademoiselle Mathilde,
    Vous
savez peut-être qu'en désaccord avec mon beau-père,
on a fini par se taper, j'ai préféré m'exiler au
Québec, faisant venir après six mois mon épouse
et mes deux filles. Une autre est née ici. Je ne m'occupe plus
des arbres, je suis devenu chef cuisinier dans un restaurant de
Sherbrooke, une des artères du centre les plus fréquentées.
Je gagne bien ma vie mais ce n'est pas pour me vanter que je vous
écris.
    Je
vous écris pour vous dire que j'ai parlé à un
client, il y a quelques jours, qui est de Saint John's, sur
Terre-Neuve, et qui s'est installé après la guerre au
Québec. Son nom est Nathanaël Belly, on lui dit Nat, il a
une entreprise de chauffage. Il est âgé d'environ
trente-cinq ans. Il était à table avec sa femme et un
couple d'amis. Il a tenu à m'offrir quelque chose à la
fin du repas, pour me féliciter de ma cuisine, et c'est comme
ça que j'ai su qu'il a été sur la Somme, en
janvier 17, et qu'il connaît la tranchée où
Manech est mort. Je ne voudrais surtout pas raviver de terribles
souvenirs, mais je crois qu'avant tout vous voulez savoir. Alors
voilà, j'ai hésité de vous écrire mais
tant pis.
    D'après
ce Nat Belly, qui aime la bière mais qui avait toute sa tête,
une patrouille de Terre-Neuve dont il faisait partie, le matin du
lundi 8 janvier 1917, est arrivée la première sur le
terrain de la bataille, parce que les Britanniques remplaçaient
les nôtres dans le secteur, comme ils l'ont fait après
sur tout notre front jusqu'à Roye. Nat Belly dit qu'ils ont
enterré sous une bâche cinq Français tués,
qui avaient des pansements à leurs mains. Leurs numéros
de régiment, tous leurs insignes avaient été
arrachés, probablement par les Boches pour ramener des
souvenirs chez eux. Nat ne se souvient malheureusement plus de leurs
noms, pourtant ils avaient encore leurs plaques et le chef de
patrouille les a notés “au cas où ”, mais
il ne se souvient plus. Ce qu'il

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