Un long dimanche de fiancailles
accepté qu'on lui apporte
une serviette. Il s'est lavé à grande eau le visage et
le torse, il est allé à sa moto changer de chemise. À
l'arrière de sa machine, d'un rouge crasseux, était
fixé un caisson d'acier peint de la même couleur, d'un
ou deux tons mieux épargnée par la poussière des
routes, sur lequel étaient arrimés avec des courroies
un grand sac de marin, des bidons, un réchaud à bois,
une toile de tente, un buisson de genêts à replanter sur
l'île natale. Rien que pour déballer ce barda, n'importe
qui aurait perdu le restant du jour, mais il n'était pas
n'importe qui, il avait en toutes choses le génie du désordre
organisé. Ses ablutions comprises et même le cours de
mécanique, inévitable, qu'il a dû fournir à
Sylvain, fasciné par son bolide, il lui a fallu cinq minutes,
six au plus, pour se trouver assis avec Mathilde sur la terrasse,
bien frais, bien propre, dans une chemise bleu ciel, sans col ni
manches, prêt à raconter sa vie.
Il
a parlé longtemps, avec des silences qui semblaient des
calvaires, se levant parfois pour tourner en rond, les mains dans les
poches, fumant des cigarettes jusqu'à remplir un cendrier. La
nuit est tombée. On a allumé les lanternes de la
terrasse et du jardin. Bénédicte, à un moment,
est venue apporter une omelette, de la viande froide et des fruits
sur la grande table en osier. Elle et Sylvain avaient déjà
dîné, ou soupé comme ils ont l'habitude de dire,
et ce doit être pareil sur l'île d'Oléron.
Célestin Poux, à lui seul, a mangé l'omelette et
pratiquement tout le reste. Bénédicte trouve ce
monsieur très bien élevé.
Maintenant,
il est là, pensif, assis en face de Mathilde, blond, frisé,
avec des yeux qu'on dirait ceux de porcelaine d'Arthur, le premier
bébé qu'elle a eu quand elle avait quatre ans, il
ressemble à son Arthur que c'en est incroyable, le corps
massif, les bras costauds et une tête de poupon candide. Quand
il sourit, on fond. Mais il ne sourit plus depuis un bon moment, à
cause d'elle il est reparti dans sa guerre.
Elle
voudrait lui poser tant de questions qu'elle renonce. Elle lui dit
qu'il va, cette nuit, dormir à la maison. Elle lui demande si
rien ne le presse. Il répond non, qu'un moment il est ici, un
autre là, qu'il n'a pas d'obligation, sauf peut-être
envers le buisson de genêts qu'il a déterré en
route et qu'il lui faudrait replanter assez vite quelque part. Il
pensait le faire à Oléron, dans le jardin d'un ami
d'enfance, mais il est vrai que, sur son île, ce ne sont pas
les genêts qui manquent. Mathilde, sans un mot, tend l'index
vers un coin de son jardin à elle, où Sylvain se
demandait jusqu'ici ce qu'on pouvait bien planter dont la couleur
s'accorde avec des pensées mauves. Célestin-Arthur se
retourne, regarde et, sans un mot lui non plus, uniquement par une
moue et un mouvement d'épaule, répond que si elle y
tient, là ou ailleurs, ça lui est égal, qu'il
n'a jamais été contrariant.
Pour
le reste, il dit qu'il ne veut pas déranger, que ce n'est pas
la peine de préparer une chambre, qu'il a tout ce qu'il lui
faut sur sa moto et que la nuit est belle, qu'il dormira très
bien dans la forêt, entre le lac et l'océan. Seulement
voilà : Mathilde, elle, est contrariante.
Au
matin, encore dans son lit, occupée à transcrire ce que
Célestin Poux lui a raconté, Mathilde a un coup au cœur
en entendant partir la Triumph, elle agite comme une naufragée
sa clochette. Bénédicte accourue hausse les épaules :
son quartier-maître ne se tenant plus d'essayer la moto,
l'invité a complaisamment mis à terre son échafaudage
de romanichel et ils sont partis tous les deux faire un tour. Rien
qu'à l'entendre pétarader, on devine que cette
invention du diable doit dépasser le cent à l'heure. En
plus, ils ont planté les genêts dans le jardin et ils
étaient si pressés de s'en aller qu'ils ont laissé
tous les outils à l'abandon. Mathilde dit : “ Nous voilà dans de beaux draps."
Un
peu plus tard, allongée sur la table de massage, elle entend
les hommes revenir. Ils se congratulent à qui mieux mieux dans
le jardin. Apparemment, Sylvain a conduit tout du long et la machine
s'en tire sans dommage. Mathilde pense qu'ils feraient de bons
compagnons si elle demandait à Célestin de rester
quelque temps à la villa. Elle referme les yeux sur cette
idée.
C'est
un spécialiste du sanatorium qui vient la masser maintenant,
trois fois par semaine, un grand-gros à
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