Un long dimanche de fiancailles
lunettes, monsieur
Michelot. Le guide-nageur d'autrefois, Georges Cornu, après
avoir rasé sa moustache, s'est enfui il y a trois ans avec
l'épouse d'un pharmacien de Dax et celle d'un marin-pêcheur
de Cap-Breton, toutes deux heureusement sans enfant, demi-sœurs
par leur père de surcroît, ce qui dédramatise
quelque peu l'enlèvement. Comme dit Bénédicte :
“ Ce sont des choses qui arrivent. ”
Monsieur
Michelot parti, Mathilde prend son petit déjeuner au soleil,
sur la terrasse devant le lac. Elle s'est fait apporter par Sylvain
son coffret en acajou, d'où elle n'a escamoté que la
lettre d'aveux d’Élodie Gordes. Elle a classé le
reste dans l'ordre chronologique pour que Célestin Poux s'y
reconnaisse.
Il
est assis comme la veille en face d'elle, mais la table est
rectangulaire, en bois laqué blanc, et c'est Mathilde qui
mange, en le regardant lire le récit de sa première
rencontre avec Daniel Esperanza. Il ne fait pas de commentaire avant
d'avoir fini, mais Mathilde voit sur son visage que des détails
oubliés lui reviennent en mémoire et l'attristent.
Il
dit, en levant un regard assombri : “Cela me fait bizarre
de le voir raconté comme ça, mais c'est bien ce qui
s'est passé. Je regrette de n'avoir pas compris à ce
moment-là que le sergent Esperanza était si brave
homme."
Ensuite,
il confirme à Mathilde que c'est bien le caporal Gordes qui a
échangé ses souliers et ses molletières contre
les bottes allemandes de l'Eskimo. Ils s'étaient connus dans
un autre régiment et fraternisaient. Le caporal Gordes
paraissait très affecté par le malheur de son ami.
Pendant la nuit, il voulait même cisailler les fils de fer et
aller le rejoindre, le lieutenant Estrangin a dû se fâcher
pour lui faire entendre raison.
Il
confirme également qu'il a donné lui-même un gant
gauche à l'un des condamnés qui n'en avait pas à
sa main valide. C'était Manech.
Il
ne laisse pas à Mathilde le temps de s'attendrir, il ajoute
aussitôt que c'est lui aussi qui a été chargé
par le capitaine Favourier d'apporter sa lettre à un
vaguemestre et que si Esperanza l'a finalement reçue dans les
Vosges, même des mois après, cela prouve que la poste
aux armées était moins conne que la plupart des autres
services, y compris les états-majors.
Il
lit les lettres des condamnés. Commentant celle de l'Eskimo,
il dit : “C'est le caporal Gordes qu'on appelait Biscotte.
Tant mieux si cette affaire a servi au moins à les
réconcilier. ” La lettre de Cet Homme le surprend comme
elle a surpris Mathilde. Il la lit deux fois, y revient une
troisième, l'élève dans sa main pour la montrer,
déclarant tout net : “Celle-là est codée,
qu'on me tue mon père et ma mère si je me trompe."
Mathilde
lui répond de laisser un moment ses pauvres parents reposer en
paix, elle s'est toujours doutée qu'il devait y avoir un code
entre Benoît Notre-Dame et sa Mariette, mais peut-il deviner
lequel ? Il dit que les époux, les fiancés, les
amants avaient tous leur propre système pour tromper la
censure. Par exemple, certains mots avaient une seconde signification
et, forcément, seul le couple qui la leur avait attribuée
pouvait comprendre, même un spécialiste du
contre-espionnage s'y serait cassé la tête. Il y avait
d'autres méthodes, il en connaît trois qui étaient
fréquentes et plus simples à déchiffrer. Le Saut
de Puce consistait, en lisant la lettre, à sauter des mots par
groupe de deux, de trois, de quatre, ou plus. La Carte du Tendre,
c'était de ne lire que les lignes convenues d'avance. Il peut
affirmer que Cet Homme n'a utilisé ni l'une ni l'autre de ces
méthodes, d'ailleurs Mathilde s'en rendra compte d'elle-même.
Il y avait aussi l'Ascenseur, qui était d'aligner les mots sur
la page de telle sorte qu'on puisse lire, soit de haut en bas, soit
de bas en haut, à la verticale d'un terme-repère décidé
une fois pour toutes, une phrase secrète. Malheureusement, si
c'était là le code des Notre-Dame, il faudrait avoir
l'original de la lettre, la copie d'Eperanza ne voudra jamais rien
dire.
Mathilde
finit son bol de café au lait. Elle demande à Célestin
Poux de lire la lettre suivante, celle que lui a dictée Droit
Commun dans la cagna du capitaine Parle-Mal. Autant qu'il s'en
souvienne, sauf l'orthographe qui n'a jamais été son
fort et qu'Esperanza a corrigée, c'est bien ce que le
Marseillais lui a demandé d'écrire. Mathilde dit :
“Cette lettre est codée aussi, la
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