Un mois en Afrique
coup du pistolet porta à faux sur ma gauche, sa tête frappa le mur qui fut baigné de son sang, et derrière lequel il disparut en tombant.
Presque en même temps, à quelques pas de là, un autre, à barbe grise, armé d'un long fusil garni d'argent, faisait basculer son arme sur le haut du mur, pour nous mieux viser. Se voyant visé à son tour, il se retira ; mais aussitôt, élevant les bras et son fusil, il allait tirer dans notre direction, quand je lui lâchai mon second coup, chargé à deux balles qui, écrêtant le mur, l'atteignirent à la tête dont on ne voyait que le sommet. Comme son camarade, il tomba de l'autre côté, ainsi que son fusil qui paraissait fort beau, et que nous ne pûmes prendre. Les tirailleurs applaudirent, et ils m'assurèrent que c'étaient des chefs.
Tout cela se passa, pour ainsi dire, en un clin d'oeil, et beaucoup plus vite qu'on ne peut l'écrire. Cependant, le feu, au lieu de discontinuer, prenait une nouvelle intensité. En voyant tomber leurs officiers et leurs camarades, beaucoup de soldats s'empressèrent autour d'eux, et les transportèrent sur les derrières ; d'autres, comme cela arrive souvent en pareil cas, [L'ordonnance du 3 mai 1832 prescrit, avec raison, de ne pas s'occuper des morts, ni même des blessés, pendant l'action ; mais, en Afrique, il a fallu adopter le système contraire, à cause de la cruauté des Arabes et de l'inconvénient qu'il y aurait à leur laisser mutiler les corps dont ils font de sanglants trophées qui surexcitent le fanatisme des populations.] les accompagnèrent, sans doute pour les escorter ; les travailleurs avaient suspendu la coupe des palmiers, mais n'étaient pas venus en ligne ; en un mot, je restai avec le quart environ de mon monde, c'est-à-dire une vingtaine de grenadiers de la Légion et quatre-vingts hommes, à peu près, du bataillon d'Afrique.
Le brave sergent-major Marinot, de ce dernier corps, me seconda avec cette sévérité et cette énergie qui n'admettent point d'hésitation.
Mes grenadiers, ou plutôt cette poignée de mes grenadiers, restaient sous le commandement immédiat du sergent anglais Smitters, dont la valeur héroïque était digne d'une action plus importante.
Quoique, au même moment, les assiégés de Zaatcha eussent fait une sortie et attaqué vigoureusement la sape de droite à la tranchée, le colonel dont la sollicitude paternelle et touchante ne nous oubliait pas, le colonel, toujours partout, infatigable et dédaigneux du danger, arrivait encore auprès de nous. Sa présence ranima le combat. Debout sur un petit monticule où pleuvaient les balles, exactement à la même place où Smitters fut tué un instant après, il criait : Tenez bon, grenadiers ! et ne voulut point se défiler. Un groupe d'Arabes, à demi couverts par le mur, tiraient sur nous à soixante pas, et semblaient avoir reconnu des officiers, si bien que je crus utile de leur envoyer moi-même un nouveau coup de fusil. Tous ceux qui ont assisté à cette affaire conviendront que je n'exagère rien en disant que nous étions attaqués par plus de mille adversaires, et sans la bonté de notre position défensive, je ne sais vraiment ce que nous serions devenus, surtout sans les renforts qui nous arrivèrent.
Je conviens que j'en demandai au colonel.
Non-seulement il m'approuva, mais rappelé à la tranchée par le bruit du combat qui continuait à s'y livrer, il se chargea de les faire demander lui-même au général. En attendant, nous avions à faire un nouvel effort, et, je dois le dire, aucun des braves qui m'entouraient ne faillit à cette tâche.
Un lieutenant du bataillon d'Afrique, dont je regrette vivement de ne pas avoir retenu le nom, était venu remplacer un des capitaines blessés ; Marinot, et leurs soldats, défendaient le jardin encaissé ; Smitters et nos grenadiers, le mur et le terrain nu à côté.
La conduite de Smitters est de celles qui honoreront le genre humain tant qu'un coeur de soldat battra sous le harnais ! Je déplore de n'avoir que ce faible écrit pour en conserver la mémoire. En évidence sur la petite butte que venait de quitter le colonel, il animait ses hommes, et ajustait ses coups avec un imperturbable sang-froid. Derrière un large créneau, un Arabe se montrait à demi et se cachait tour à tour. Le sergent le tenait enjoué, et épiait, pour tirer, le moment favorable, mais l'ennemi le prévint ; foudroyé, Smitters bondit en l'air, tomba à la renverse, et son sang
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