Un mois en Afrique
l'a vu, nous avions été attaqués par les gens de Lichana, qui n'étaient nullement assiégés ; il n'y avait donc pas eu de sortie proprement dite. La retraite fut ordonnée par le général, et le général, ce me semble, aurait pu le dire, d'autant mieux qu'il pouvait avoir d'excellentes raisons de la prescrire, entr'autres le peu d'importance du résultat que nous aurions obtenu en prolongeant le combat. Ce résultat n'aurait pas été en rapport avec le nombre des troupes employées, que les soutiens, à la fin de l'engagement, avaient porté à un chiffre très considérable. Je ne sache pas qu'il y ait en de caisse ni d'outils tombés aux mains des Arabes ; mais il n'est pas impossible qu'il en soit resté sur le terrain, ce qui n'est certes pas la même chose. Quant à la caisse, les états nominatifs des morts et des blessés, qu'on peut voir aux Pièces justificatives, constatent qu'aucun tambour ne fut atteint, et, si je me souviens bien, on disait au camp qu'elle avait été abandonnée par un tambour du bataillon d'Afrique, qui grappillait des dattes. Maintenant, les travailleurs ont-ils abandonné des haches ? s'ils l'ont fait, ils sont inexcusables, car nos tirailleurs les ont constamment couverts, et les Arabes, contenus par nous, n'ont pu arriver jusqu'à eux. Qu'on me passe ces particularités ; elles paraîtront insignifiantes, mais on comprendra ma surprise (si quelque chose pouvait étonner dans ce bas monde) de voir que pas le moindre éloge ne m'a été décerné, et que l'occasion d'une espèce de blâme semble avoir été cherchée dans des détails peu dignes de figurer dans un rapport général.
Pendant que nous combattions du côté de Lichana, la sape de droite, comme je l'ai dit, était audacieusement assaillie à la tranchée.
Les Arabes, sortis de Zaatcha, suivis par des femmes qui les excitaient, et bravaient héroïquement la mort, avaient mis tant d'acharnement dans leur attaque, qu'on en tua plusieurs à deux pas de nos créneaux, qu'ils cherchaient à prendre. Un, surtout, vint tomber si près, que les voltigeurs du 38ème se saisirent de son sabre au moyen d'un tire-bourre de canon, et me l'envoyèrent par le plus ancien soldat de la compagnie. Je le conserve précieusement en souvenir de ces braves et du courageux Arabe mort pour son pays.
On sait que la garde et les travailleurs de tranchée sont relevés toutes les vingt-quatre heures. Sur la demande de mon colonel, notre tour fut prolongé jusqu'au soir, ce qui me donna l'occasion de compléter la journée ; car le général étant venu à la gourbie, où nous déjeunions, il m'ordonna d'abattre encore des palmiers, cette fois à proximité de la tranchée. Après avoir garni de tirailleurs les murs de deux grands jardins, je les fis complètement raser, sans forte opposition de la part des Arabes, soit qu'ils en eussent assez du combat du matin, soit que le voisinage de nos travaux les tint en respect. Ils se contentèrent de nous envoyer de loin quelques balles qui ne nous firent pas grand mal ; un soldat cependant en fut atteint, et un autre fut blessé par la chute d'un palmier.
Le soir, vers cinq heures, nous retournâmes au camp. Nos tentes et nos lits de cantines nous parurent des palais et des édredons après la tranchée. Les vivres étaient abondants à la colonne ; le pain seulement, qu'on faisait venir de Biscara, commençait à manquer, mais du biscuit trempé le remplace, au besoin. L'eau était désagréable, malsaine, et tellement chargée de sels, qu'en ayant passé un litre environ à travers un mouchoir de toile, j'en obtins un résidu qui, séché et approché du feu, crépitait comme du nitre.
Le sable, d'une finesse imperceptible, s'infiltrait partout ; quelque précaution que l'on prit, tout ce qu'on préparait pour manger en était tellement saupoudré, qu'à chaque morceau on le sentait craquer sous la dent. Je fis l'expérience de placer du papier sur la tablette de ma tente, et bien que j'en eusse bouclé les contre-sanglons pour la fermer complètement, deux heures après le papier était tout couvert de sable. Ces petits inconvénients n'étaient qu'un sujet d'observations ; mais la mauvaise qualité de l'eau incommodait tout le monde, et engendrait même des maladies.
Le lendemain, nos pertes furent douloureusement augmentées par la mort du capitaine Graillet, commandant du génie. Par le plus malheureux des hasards, tandis qu'il dirigeait les travaux à la sape de droite, il fut
Weitere Kostenlose Bücher