Un mois en Afrique
convenir, et comme s'il avait dépendu de quelqu'un, sous quelque prétexte que ce fût, de me reléguer, sans me consulter, au fond du Désert, en échange du poste législatif que la sympathie et la confiance de deux départements m'ont assigné.
Indigné d'être ainsi traité par ceux-là mêmes à qui j'étais le plus disposé à me dévouer, rebuté par d'aussi nauséabondes menées, la cordialité de mes chefs militaires, et en général de tous les officiers du camp, ne modifia point mon projet primitif.
Décidé à partir, j'en avais parlé à mon colonel et au général, lorsque celui-ci voulut bien me charger, pour M. le général Charon, d'une mission indiquée dans une dépêche qu'il me fit l'honneur de me communiquer, et qu'il me confia, le 29 au soir, avec l'ordre qu'on peut voir aux Pièces justificatives. Le but principal de cette mission était de hâter l'arrivée des renforts qu'il attendait, et qui, demandés par la voie de terre au moment où les communications n'étaient rien moins que sûres, auraient pu tarder encore longtemps à le rejoindre, sans la diligente prévoyance de M. le gouverneur général.
M. le général Herbillon, aux éminentes qualités duquel je serai toujours heureux de rendre hommage, malgré l'oubli où il m'a laissé dans son rapport d'ensemble, a été, pour moi, spontanément bienveillant ; je ne doute pas qu'il me rendra la justice de rappeler, au besoin, la résolution que je lui manifestai de ne pas partir, malgré les graves et nombreux motifs que je lui exposai, dans le cas où, contrairement à ce qu'il avait décidé pour lors, un assaut eût été à prévoir dans un délai rapproché. C'est ici l'endroit de répondre à certaines gens qui auraient dû s'informer au moins des faits, des distances, des dates, avant d'insinuer cette outrageante assertion que j'aurais quitté la colonne la veille d'un assaut. D'assaut il n'était pas question alors ; il a été livré un mois après, et il est à présumer que je ne m'y fusse pas trouvé, quand même j'aurais été encore en Afrique, mon régiment ayant été dirigé sur Biscara quinze jours avant la prise de Zaatcha.
Un autre propos infâme, dont personne n'a osé prendre vis-à-vis de moi la responsabilité, mais que j'ai appris avoir été tenu tout bas, un de ces propos qui ne seraient que ridicules, s'ils n'étaient odieux, c'est celui qui attribuait mon départ à ma crainte du choléra.
En vérité, on rougit de s'arrêter à des accusations anonymes aussi saugrenues, et c'est se ravaler que d'y répondre, mais il n'est peut-être pas superflu que mes charitables Basiles sachent :
D'abord, que, devant Zaatcha, quand j'en suis parti, il n'y avait point de choléra, et on était si loin de le craindre, que l'on considérait le camp comme un refuge pour les troupes, à cet égard. Le choléra y fut apporté par la colonne de M. le colonel Canrobert ; à mon départ, non-seulement on ne savait pas qu'elle en fut attaquée, mais on ignorait même sa prochaine arrivée. A Marseille, à Toulon où le choléra faisait des ravages réels et où je m'arrêtai deux jours ; à Alger, à Philippeville, à El-Arrouch, je ne sache pas que cette maladie, qui d'ailleurs est rarement contagieuse, ait modifié un instant mes plans de voyage. Et si les actions d'un proscrit n'étaient pas naturellement peu connues, on saurait qu'aux États-Unis, à Malte et ailleurs, on se souvient de mes visites aux cholériques ; et à Paris même, si la haine aveugle ne repoussait pas toute information, on trouverait d'honorables citoyens qui ont vu mourir dans mes bras, il n'y a pas encore bien longtemps, un de mes amis, M. Piebault d'Ajaccio, enlevé en quelques heures par le choléra.
Mais assez de ces dégoûtantes et viles calomnies, qu'un soldat et un homme de coeur préférerait avoir à relever autrement qu'avec la plume.
Le paquebot d'Alger devant appareiller de Philippeville le 6 novembre, mon départ de Zaatcha fut fixé au 30 octobre. Le 28 et le 29, mon régiment fut encore de service à la tranchée ; mais comme nous nous y rendîmes sans musique, suivant les prescriptions réglementaires, [Article 202 de l'ordonnance du 3 mai 1832.] nous y arrivâmes sans avoir personne hors de combat.
Le commandant de Laurencez et son bataillon étaient de garde avec nous. Ce sont d'excellents compagnons, aussi braves que gais. Goise, le zouave qui s'était fait remarquer le 25, demanda au colonel la permission de vexer l'Arabe,
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