Un mois en Afrique
le cheval de cet homme s'étant abattu en même temps, il se trouva sur l'hyène, qu'il maîtrisa sans en être mordu.
Nous accourûmes tous ; à l'aide de ses camarades, qui avaient mis pied à terre, il la musela avec des cordes. Attachée par le cou à une courroie de charge, elle marcha quelque temps devant lui, et comme elle nous embarrassait, on la tua avec un couteau. Quoiqu'elle fût énorme, elle paraissait saisie de terreur, elle ne poussa pas un cri, et n'opposa pas la moindre résistance. Je savais que ces animaux ne sont pas très dangereux ; mais je fus étonné et presque touché de la mansuétude de notre capture. Sa fourrure était fort belle, mais, usée par les cordes qui nous avaient servi à la fixer sur le bât d'un mulet, je ne pus la conserver. Les spahis, à ma surprise, mangèrent la viande au bivouac du soir.
Après cette chasse, nous rencontrâmes une colonne de renforts qui allait rejoindre le général Herbillon. A sa tête étaient M. le lieutenant-colonel de Lourmel et d'autres officiers supérieurs, circonstance bonne à retenir pour le moment où il sera question de la réponse que me fit M. le ministre de la guerre à la tribune de l'Assemblée.
Arrivés à Aïn-Mélilla, où nous passâmes la nuit, nos spahis nous donnèrent le spectacle de quelques jeux du pays. D'abord, ce fut une espèce de danse, pour laquelle des couples se forment, en se donnant le bras ; un des deux partenaires se voile le visage et représente une fiancée, l'autre le prétendu ; les couples défilent devant le spectateur, en se dandinant et en chantant à la moresque sur un air monotone. Un second jeu consiste à placer un homme, accroupi et entortillé dans son bournous, sous la protection d'un autre qui se tient debout derrière lui, et lui appuie les mains sur les épaules, prêt à lancer des coups de pied à ceux qui l'attaquent.
Le premier est le mouton, le second le chien, les autres joueurs sont les chacals, et il leur est permis de porter force coups au mouton, ou de le tirer par son bournous pour le faire tomber, mais ils ont à se garer du chien, contre lequel ils n'ont d'autre recours que de lui saisir le pied avant qu'il les frappe. Ces exercices paraissaient égayer beaucoup nos spahis, et pour moi, il n'était pas sans intérêt de voir la naïveté de ces braves gens qui s'amusent comme des enfants et se battent comme des hommes.
Le 4, M. Osman retourna avec eux à Batna, et je continuai ma route. A peu de distance d'Aïn-Mélilla, je rencontrai de nouveaux renforts. A Constantine, où je fus rendu avant la soir, M. le général de Salles m'apprit que M. le colonel Canrobert devait, sous peu, effectuer sa jonction avec la colonne de Zaatcha, et que le 8e bataillon de chasseurs à pied, campé aux portes de la ville, allait aussi se mettre en marche pour les Ziban, ce qui portait à plus de 3,000 hommes la totalité des renforts envoyés au général Herbillon. Celui-ci n'en demandait pas davantage pour terminer ses opérations.
Je reçus à Constantine, dans la maison de M. le docteur Ceccaldi d'Evisa, chirurgien principal, l'hospitalité la plus affectueuse, et le 5 au matin, je partis pour Philippeville. Le bateau à vapeur d'Alger partait le lendemain ; un autre était attendu qui devait appareiller le 8, directement pour Marseille. Les renforts assurés, le but principal de ma mission étant de hâter leur arrivée, elle se trouvait remplie, et il devenait inutile de faire une double traversée, et de passer par Alger. Je résolus donc de partir par le bateau du 8 ; j'écrivis, dans ce sens, au gouverneur général, et je lui expédiai immédiatement mon ordonnance, avec ma lettre et la dépêche du général Herbillon.
La réponse que j'ai reçue, loin d'exprimer aucun blâme, est très aimable et honorable pour moi. On ne comprendrait pas, en effet, qu'on se soit plu à dénaturer une chose aussi simple, si depuis longtemps l'esprit de parti n'était pas en guerre ouverte avec l'impartialité et la bonne foi. [Voyez aux Pièces justificatives mes interpellations au ministre de la guerre.]
Le 7, les Corses résidant à Philippeville m'offrirent un banquet. C'étaient des soldats, des négociants, des marins ; réunion touchante qui, sur le sol d'Afrique, me rappelait l'accueil sympathique de l'île paternelle, à qui ma famille doit tant !
Le 8, je m'embarquai sur le Sphinx, pyroscaphe de la compagnie Bazin, commandant Bonnefoi. Le temps était gros et le vent contraire ;
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