Un mois en Afrique
accomplir le miracle dont parlait l'honorable général. Laissant de côté cette légère erreur géographique, qu'aurait dit le général en chef si, m'arrogeant ses prérogatives, j'étais venu lui prescrire un plan, ou tenter une opération quelconque sans prendre ses ordres ? Et avec quoi l'aurais-je tentée, qui m'aurait obéi, ou plutôt ne m'aurait-on pas pris pour fou !
C'est dommage d'entendre un homme respectable débiter de pareilles excentricités, et n'a-t-il pas fallu que les esprits fussent bien prévenus, pour les écouter sans sourciller ? D'ailleurs, l'ordre formel de mon général n'était-il pas de me rendre à Alger, et si j'eusse désobéi, fût-ce pour retourner à Zaatcha plutôt qu'à l'Assemblée nationale, M. d'Hautpoul ne m'eût-il pas traduit devant un conseil de guerre, ou, tout au moins, révoqué de mon grade, et, qui plus est, de mon emploi, quand même je n'en aurais pas eu ?
M. d'Hautpoul, dans son discours, accordait beaucoup à mon nom, et il venait déclarer, en même temps, que ce nom et les longues persécutions qu'il a attirées, ne valaient pas la peine de naturaliser mon épaulette, ni d'arrêter une mesure qui certes n'était pas empreinte d'aucun esprit de famille.
Enfin, lorsque, tout en commettant de si singulières méprises, il me reprochait de ne pas avoir consulté mon coeur de soldat, on comprendra que si j'avais voulu descendre à des personnalités, rien ne m'eût été plus facile ; mais je crus, et je crois encore, que cela ne m'eût pas convenu envers un ministre et un vieux général.
Quoi qu'en dise le Moniteur, il n'est pas exact que l'Assemblée presque entière se soit levée contre l'ordre du jour que je présentai. [Voyez aux Pièces justificatives.] Au contraire, la gauche presque entière, et cela m'importe beaucoup, s'abstint de prendre part au vote, malgré la position délicate que ma susceptibilité à l'endroit de Louis-Napoléon m'avait faite dans l'opinion de la plupart de ses honorables membres.
Quant à mes autres collègues, je prendrai la liberté de leur exposer avec le profond respect que je dois à une fraction si importante de la souveraineté nationale, que mon mandat je ne le tiens pas d'eux, mais des citoyens des départements qui m'ont élu, et que je ne me crois nullement tenu de conformer mon opinion à celle de la majorité.
Cette opinion, fût-elle individuelle, elle pèse dans la balance, du poids d'un vote libre, consciencieux et sans contrôle.
Nulle part, je n'ai vu dans la Constitution, ni même dans la loi électorale, qu'en acceptant une mission temporaire, un représentant abdique l'indépendance de son caractère, et perde le droit de revenir prendre part aux délibérations législatives quand il le juge nécessaire ou seulement opportun. J'y vois, plutôt, comme je l'ai fait remarquer à la tribune, que s'il n'est pas revenu avant l'expiration du délai de six mois fixé par la loi, son mandat de représentant est périmé de droit. Ainsi donc, si, en Algérie, ou même plus loin, il était obligé d'attendre le bon plaisir du gouvernement, celui-ci pourrait lui faire perdre à dessein sa haute qualité, soit en lui refusant l'autorisation de retour, soit en tardant simplement à l'envoyer. [L'article 28 de la Constitution dit : «Toute fonction publique rétribuée est incompatible avec le mandat de représentant du peuple. Les exceptions seront déterminées par la loi électorale organique.» L'article 85 de cette loi dit : «Sont exceptés de l'incompatibilité les citoyens chargés temporairement d'un commandement ou d'une mission extraordinaire, soit à l'intérieur, soit à l'extérieur. Toute mission qui aura duré six mois cessera d'être réputée temporaire.»]
On a dit qu'un représentant était libre d'accepter ou non une mission du gouvernement. Sans doute, et ce n'est pas bien profond ; mais, sous les phases variées de notre politique, ce qui convient aujourd'hui peut fort bien ne pas convenir dans quinze jours, ou même demain. Il ne faudrait pas chercher bien loin pour trouver deux honorables représentants qui avaient accepté de hautes missions sous le ministère Barrot-Dufaure, et qui les ont résignées à l'avènement du ministère d'action.
Je ne disconviens pas que l'alternative résultant des dispositions que je viens de citer ne soit un argument péremptoire en faveur des incompatibilités, et, pour ma part, je les ai votées presque toutes. Je comprends encore que ceux qui ne
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