Un Monde Sans Fin
même pas se faire reprendre !
En le regardant s’agiter dans l’eau, la confiance lui
revint. Le colporteur aurait pu se maintenir à fleur d’eau s’il était resté
immobile sur sa planche, mais il se démenait, cherchant à gagner le rivage au
plus vite, et ses mouvements le déstabilisaient. À plat ventre sur son morceau
de bois, il tentait de se redresser. Mais à peine donnait-il un coup de pied
pour se propulser en avant que sa tête disparaissait sous l’eau.
En agissant de la sorte, il n’était pas assuré de gagner la
terre ferme, comprit Gwenda et elle décida de l’en empêcher.
La rivière était jonchée de morceaux de bois de toutes
tailles, allant de la solive à la planche brisée. Repérant près du rivage un
solide tronçon d’environ trois pieds de long, elle entra dans l’eau et s’en
empara. Et c’est armée de ce gourdin qu’elle marcha à la rencontre de l’homme
qui l’avait achetée.
L’effroi qu’elle lut dans ses yeux l’emplit de joie.
Il interrompit ses mouvements de pieds.
S’il reculait, c’était la noyade ; s’il avançait,
c’était la mort sous les coups de massue de la femme dont il avait voulu faire
son esclave.
Il ne tergiversa pas.
Gwenda, de l’eau jusqu’à la taille, attendait le moment
propice.
Le voyant s’arrêter à nouveau et s’agiter, elle devina qu’il
testait la profondeur de l’eau.
C’était maintenant ou jamais.
Sa poutrelle levée au-dessus de sa tête, elle fit un pas en
avant. Comprenant son intention, Sim tenta désespérément d’échapper à la
trajectoire de son arme. Hélas, il lui était impossible d’esquiver le
coup : il n’était plus à plat ventre sur sa planche et il n’avait pas
encore retrouvé le sol sous ses pieds. Gwenda abattit de toutes ses forces le
gourdin sur sa tête.
Ses yeux se révulsèrent et il perdit connaissance.
Le rattrapant par sa tunique jaune, elle l’attira vers elle.
Pas question de le laisser filer à la dérive, il risquerait de revenir à la
charge ! Empoignant sa tête entre ses mains, elle l’enfonça sous l’eau.
Maintenir un corps sous l’eau s’avérait bien plus difficile
que prévu, même si ce corps était celui d’un homme mort. Pour qu’il sombre,
elle devait coincer la tête du colporteur sous son bras et lever ensuite les
pieds elle-même, afin de l’entraîner au fond. Las, les cheveux gras de Sim glissaient
entre ses doigts.
Il devait être mort et bien mort, à présent ! Combien
de temps fallait-il pour noyer un homme ? Elle n’en avait aucune idée. Les
poumons de Sim devaient déjà se remplir d’eau. À quel moment saurait-elle
qu’elle pouvait le lâcher sans risque ?
Et voilà qu’il se tordit. Elle appuya plus fort sur sa tête
et dut lutter pour qu’elle ne lui échappe pas des mains. Ces convulsions
étaient-elles des spasmes inconscients ou le signe que Sim revenait à la
vie ? Quoi qu’il en soit, c’étaient des mouvements violents et
irréguliers. Reposant les pieds par terre, Gwenda s’ancra au sol le plus
solidement qu’elle le put.
Elle promena les yeux autour d’elle. Personne ne regardait
dans sa direction. Les gens étaient bien trop occupés à se sauver eux-mêmes.
Les mouvements de Sim faiblirent et il finit par
s’immobiliser. Elle relâcha sa prise peu à peu. Le colporteur coula lentement
au fond.
Et ne remonta plus.
Gwenda repartit vers la berge et se laissa tomber lourdement
sur la terre détrempée, hors d’haleine. Palpant sa ceinture, elle constata que
sa bourse de cuir y était toujours accrochée. Les brigands n’avaient pas
cherché à la lui dérober ; elle l’avait conservée tout au long de ses
épreuves, cette bourse si précieuse qui contenait son philtre d’amour. Elle
l’ouvrit en hâte. Hélas, la petite fiole de terre était en mille morceaux.
Gwenda fondit en larmes.
*
La première personne que Caris découvrit se livrant à une
activité intelligente fut le frère de Merthin. Vêtu en tout et pour tout d’une
culotte, il n’était pas blessé, hormis son nez rouge et gonflé, mais il était
déjà dans cet état depuis plusieurs jours. Ralph venait de sortir de l’eau le
comte de Shiring et l’avait étendu sur la berge à côté d’un homme inanimé qui
portait les couleurs du comte et présentait à la tête des blessures
effroyables, peut-être même mortelles. Épuisé par ces efforts, Ralph semblait
ne plus savoir que faire. Caris considéra la situation avant de
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