Un Monde Sans Fin
lui donner un
ordre.
De ce côté-ci de la rivière, la berge était faite d’une
succession de petites criques séparées par des rochers. Les bandes de terre
détrempée n’étaient pas assez vastes pour accueillir tous les morts et les
blessés. Il faudrait les regrouper ailleurs.
À quelques dizaines de pas du bord, une volée de marches en
pierre menait à une porte percée dans le mur d’enceinte du prieuré. La
désignant à Ralph, Caris cria : « Passe par ce chemin et emporte le
comte dans la cathédrale. Après, cours à l’hospice et demande à la première
sœur que tu rencontreras d’aller chercher mère Cécilia. »
Ralph obéit dans l’instant, heureux de voir quelqu’un
prendre les choses en main.
Apercevant Merthin prêt à s’élancer dans l’eau, Caris le
retint. « Regarde-moi ces imbéciles ! » Sur la partie du pont
encore debout, côté Kingsbridge, des douzaines de personnes s’ébaubissaient à
la vue du carnage. « Fais descendre ici tous les hommes costauds. Qu’ils
commencent à extraire les gens de l’eau et à les porter à la cathédrale. »
Il hésita. « Comment veux-tu qu’ils arrivent
jusqu’ici ? »Pour accéder à la berge, il fallait en effet enjamber
toute une partie du pont affaissée. D’autres personnes risquaient de se
blesser. Il y avait toutefois une solution. Les jardins des demeures de ce
côté-ci de la grand-rue jouxtaient l’enceinte du prieuré. Celui de la maison à
l’angle, qui appartenait au charretier Ben le Rouleur, était pourvu d’un petit
portillon donnant directement sur la rivière.
La même idée avait dû venir à l’esprit de Merthin, car il
dit : « je les ferai passer par chez Ben.
— C’est ça. »
Après avoir escaladé les rochers, il franchit le portillon
et disparut dans le jardin de Ben.
Caris reporta son attention sur la rivière. Une longue
silhouette émergeait de l’eau et se dirigeait vers une crique voisine. Elle
reconnut Philémon. « Tu as vu Gwenda ? lui cria-t-il, hors d’haleine.
— Oui, juste avant que le pont s’effondre. Elle
courait, pour suivie par le colporteur.
— Je sais. Mais où est-elle, maintenant ?
— Je ne l’ai pas vue. Le plus important, pour
l’instant, c’est de sortir les gens de l’eau.
— Je veux d’abord retrouver ma sœur.
— Si elle est toujours en vie, elle sera parmi
eux !
— Bien. » Philémon retourna dans l’eau en
pataugeant. Caris aussi s’inquiétait pour les siens. Mais il y avait tant à
faire ici. Elle se promit de partir à la recherche de son père dès qu’elle
aurait un moment de libre.
Ben le Rouleur apparut à son portillon. Trapu, doté d’une
carrure et d’un cou imposants, il avait réussi dans la vie en usant de ses
muscles plus souvent que de sa cervelle. Arrivé sur la berge, il regarda autour
de lui d’un air indécis.
Un homme était étendu par terre aux pieds de Caris, un homme
de la suite du comte Roland, à en juger d’après les couleurs de son
justaucorps, rouge et noir. « Ben, emportez cet homme dans la cathédrale,
voulez-vous ? » lui demanda-t-elle.
Lib, la femme de Ben, arriva à son tour, un enfant dans les
bras. Un peu plus maligne que son époux, elle s’enquit : « Ne
faudrait-il pas s’occuper d’abord des vivants ?
— Pour savoir s’ils sont morts ou vivants, il faut bien
commencer par les sortir de l’eau. Et si on les regroupe tous ici, il n’y aura
plus de place pour leur porter secours. Non, il faut les monter à
l’église. »
Convaincue par cet argument, Lib lança à son mari :
« Ben, fais comme Caris te dit ! »
Celui-ci s’exécuta.
Le voyant soulever le corps inanimé, Caris pensa que le
transport serait bien plus rapide si les blessés étaient placés sur ces
civières qu’utilisaient les maçons. Pour cela, il fallait s’adresser aux
moines. Mais où étaient-ils passés ? Aucune religieuse ne s’était montrée
depuis que Caris avait envoyé Ralph prévenir mère Cécilia. D’ici peu, on allait
avoir besoin de pansements, d’onguents et d’huiles pour nettoyer les plaies des
blessés. Et, surtout, du concours de tous les moines et de toutes les religieuses.
Il serait bon d’appeler aussi Matthieu le Barbier, car il y aurait sûrement pas
mal d’os cassés à rebouter. Et de faire venir Mattie la Sage, pour administrer
aux blessés des potions qui les soulagent. Oui, il fallait sonner l’alarme,
mais Caris ne voulait pas quitter le
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