Un Monde Sans Fin
elle avait adoré Godwyn et n’aurait jamais mis en
doute ses paroles. À présent, son admiration pour lui s’était quelque peu
refroidie.
« L’élection du prieur doit être validée par l’évêque.
Richard pourrait faire savoir aux moines qu’il ne veut pas d’un prieur opposé à
la reconstruction du pont. Par défi, certains moines continueront peut-être à
soutenir quelqu’un qui s’y oppose, mais les autres feront valoir qu’il ne sert
à rien d’élire un prieur qui ne sera pas confirmé dans ses fonctions.
— Je vois. Tu crois vraiment que mon père pourrait
faire bouger les choses ?
— J’en suis convaincu.
— Eh bien, je lui ferai part de ta suggestion.
— Merci. »
La cloche sonna midi. Godwyn s’éclipsa hors de la cathédrale
pour rejoindre le cortège des moines en train de se former dans le cloître. La
matinée, somme toute, avait été fructueuse.
16.
Wulfric et Gwenda quittèrent Kingsbridge tôt dans la matinée
du lundi. Une longue route les attendait pour regagner leur village de
Wigleigh.
Caris et Merthin étaient venus leur dire adieu à
l’embarcadère du nouveau bac. Le jeune homme regardait d’un air satisfait cette
machine construite de ses mains et qui fonctionnait parfaitement. Il regretta
seulement qu’elle ne soit pas équipée de pignons en fer car ceux-ci, taillés
dans du bois, s’useraient rapidement.
Des pensées bien différentes agitaient sa compagne.
« Gwenda est tellement éperdue d’amour, soupira-t-elle.
— Avec Wulfric, elle n’a aucune chance ! renchérit
Merthin.
— On ne sait jamais. Quand elle a une idée dans la
tête... Regarde comme elle a réussi à échapper au colporteur !
— Mais Wulfric est fiancé à cette Annet qui est bien
plus jolie qu’elle.
— En amour, l’apparence n’est pas tout.
— J’en bénis le ciel chaque jour. »
Elle rit. « Je l’aime bien, moi, ton drôle de
visage !
— Mais Wulfric doit l’aimer, son Annet, car il n’a pas
hésité à se battre avec mon frère pour ses beaux yeux !
— Gwenda a un philtre d’amour. »
Merthin toisa Caris d’un air réprobateur. « Tu trouves
normal qu’une fille use d’artifices pour qu’un homme l’épouse alors qu’il en
aime une autre ? »
La jeune fille en resta bouche bée. Elle rougit malgré elle.
« Je n’avais pas vu les choses sous cet angle-là, finit-elle par dire. Tu
trouves vraiment qu’il s’agit là de ruse ?
— Si ce n’est pas de la ruse, ça y ressemble fortement.
— Mais Gwenda ne l’oblige à rien. Elle veut juste qu’il
l’aime.
— Elle ne devrait pas recourir à un philtre pour y
parvenir.
— Tu me plonges dans la honte, parce que je l’ai aidée.
— C’est trop tard. »
Sur l’autre rive, Wulfric et Gwenda descendaient du bac. Ils
se retournèrent pour agiter la main et s’engagèrent sur la route qui serpentait
à travers le faubourg, Skip sur les talons.
Merthin et Caris remontèrent la grand-rue. « Tu as
parlé à Griselda ? s’enquit-elle.
— Je comptais le faire maintenant. Je n’arrive pas à
savoir si je me réjouis de cette conversation ou si je suis terrifié.
— Tu n’as rien à craindre, c’est elle la menteuse.
— C’est juste. Espérons seulement que son père ne va
pas s’emporter ! répliqua Merthin en levant la main vers son visage où
l’on voyait encore la trace du coup que lui avait assené Elfric.
— Tu veux que je t’accompagne ? »
Il refusa. Mieux valait tenir Caris en dehors de cette
histoire.
« C’est à moi de régler le problème puisque j’en suis à
l’origine. »
Ils étaient arrivés devant chez maître Elfric. Caris lui
souhaita bonne chance.
« Merci », répondit Merthin. Il posa un baiser sur
ses lèvres et entra dans la maison, résistant à la tentation de prolonger
l’étreinte.
Assis à la table du vestibule, Elfric mangeait du pain et du
fromage, une chope de bière devant lui. Dans le fond, on apercevait Alice et la
servante s’affairant dans la cuisine. Griselda, elle, était invisible.
« Où étais-tu ? » demanda Elfric.
Fort de son bon droit, Merthin décida d’agir courageusement.
Ignorant la question d’Elfric, il riposta : « Où est Griselda ?
— Couchée. »
Merthin leva la tête vers l’escalier. « Griselda !
cria-t-il. Descends, je veux te parler.
— Pas de temps pour ça, intervint Elfric. Le travail
attend. » Merthin ne lui prêta pas plus
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