Un Monde Sans Fin
dû être drôlement secouée, tu
trembles ! »
Ils burent tous deux en même temps.
Au bout de combien de temps le philtre agissait-il ? Se
demanda Gwenda tandis que Wulfric lui rendait ses remerciements. « Toi
aussi, tu m’as sauvé avec la récolte. »
Ils burent une autre gorgée.
« Je ne sais pas ce qui est le pire, dit Gwenda.
D’avoir un père comme le mien, ou pas de père du tout comme toi.
— Ma pauvre ! compatit Wulfric et il ajouta
pensivement : Moi, au moins, je garde un bon souvenir de mes
parents. » Il vida sa tasse. « Je n’ai pas l’habitude de boire du
vin, je n’aime pas beaucoup avoir la tête qui tourne. En dehors de ça, le goût
est délicieux. »
Elle l’observait attentivement, épiant les signes d’émoi
décrits par Mattie la Sage. Et, de fait, il se mit bientôt à la dévisager avec
curiosité comme s’il la voyait pour la première fois.
« On lit une grande bonté sur ton visage »,
déclara-t-il, après une longue pause.
L’instant fatidique était arrivé. À présent qu’elle devait
déployer tous ses charmes, Gwenda réalisait brutalement qu’elle n’avait aucune
pratique au petit jeu de la séduction et la panique la paralysait. Certaines
femmes, comme Annet, s’y entendaient à merveille pour sourire avec une feinte
timidité, se tapoter les cheveux ou battre des cils. Mais elle ? Elle
n’osait même pas essayer, convaincue à l’avance de son échec.
« Merci, dit-elle pour gagner du temps. Ton visage à
toi exprime tout autre chose.
— Quoi donc ?
— La force. Pas la force physique, mais la détermination.
— En effet, je me sens fort, ce soir, remarqua-t-il en
souriant.
Au point de retourner mon champ tout seul pour peu que je
m’y mette maintenant. Même si tu prétends que c’est impossible.
— Profite donc de cet instant de repos, dit-elle en
posant sa main sur la sienne. Tu auras encore l’occasion de travailler tout ton
saoul. »
Il fixa la main de Gwenda, toute petite sur la sienne.
« C’est drôle comme nos peaux ont des couleurs différentes, constata-t-il
comme s’il faisait là une découverte étonnante. La tienne est brune, la mienne
toute rose !
— Des peaux de couleurs différentes, des cheveux de
couleurs différentes, et des yeux de couleurs différentes. Je me demande à quoi
ressembleraient nos enfants. »
Il sourit à cette pensée. Puis son expression changea du
tout au tout, comme s’il se rendait compte subitement qu’elle avait prononcé
une chose inconvenante. Ce revirement aurait été comique si Gwenda ne s’était
tant inquiétée de ses sentiments pour elle. « Nous n’aurons pas
d’enfants ! prononça-t-il d’une voix solennelle, et il ramena sa main vers
lui.
— Je disais ça pour rire ! répliqua-t-elle avec un
enjouement désespéré.
— Tu n’aurais pas envie, quelquefois...» Il laissa sa
phrase en suspens.
« De quoi ? demanda-t-elle.
— Que le monde ne soit pas comme il est ? »
Elle se leva. Contournant la table, elle vint s’asseoir près
de lui sur le banc. « Ne perds pas ton temps en souhaits inutiles. Nous
sommes là tous les deux seuls et c’est la nuit. Tu peux faire tout ce que tu
veux. » Les yeux plongés dans les siens, elle répéta : « Tout,
absolument tout ! »
Il ne détournait pas le regard. Au contraire, elle pouvait
lire sur ses traits qu’il la désirait. Elle eut un frisson de triomphe. Certes,
il avait fallu le concours d’un philtre magique pour faire naître en lui ce
sentiment, mais maintenant ce sentiment était là, indubitablement : en cet
instant, Wulfric ne désirait rien d’autre au monde que de faire l’amour avec
elle !
Pourtant, il n’entreprenait rien.
Elle saisit sa main. Il ne résista pas. Elle tenait dans sa
main ses grands doigts rugueux. Elle les retourna et posa sa bouche sur sa
paume, l’embrassa, la caressa du bout de la langue. Puis elle éleva sa main
jusqu’à sa poitrine.
Les doigts de Wulfric se refermèrent sur son sein, le
couvrant complètement. Sa bouche s’entrouvrit. Il haletait. Le remarquant, elle
pencha la tête en arrière, prête à recevoir un baiser. Las, Wulfric persistait
à ne rien tenter.
Elle se leva. Ayant fait passer sa robe par-dessus sa tête,
elle se tint nue devant lui dans la lumière du feu, sa robe abandonnée à ses
pieds. Il la regardait, les yeux ronds, la bouche ouverte, comme s’il était
témoin d’un miracle.
Elle prit de nouveau sa main
Weitere Kostenlose Bücher