Un Monde Sans Fin
et la posa cette fois au creux
de son aine. La paume de Wulfric recouvrit entièrement le triangle
sombre ; l’un de ses doigts glissa involontairement dans cette fente si
tendre et humide. Gwenda ne put retenir un gémissement de plaisir.
À l’évidence, le souvenir obsédant d’Annet paralysait
Wulfric et il ne faisait rien de lui-même alors qu’il la désirait, Gwenda en
était convaincue. Elle pourrait le mouvoir toute la nuit à la façon d’une
marionnette, elle pourrait même faire l’amour avec lui, il demeurerait inerte.
Or l’initiative devait venir de lui.
Le devinant, elle se pencha en avant tout en continuant de
presser sa main entre ses cuisses. « Embrasse-moi, dit-elle en approchant
son visage. S’il te plaît ! »
Sa bouche n’était plus qu’à un pouce de celle de Wulfric.
Mais à quoi bon se tendre plus avant ? C’était à lui de combler la
distance.
Et soudain, il sortit de sa torpeur.
Il retira sa main, s’écarta d’elle et se leva. « Ce
n’est pas bien », s’écria-t-il.
Elle sut qu’elle avait perdu la partie.
Les larmes lui montèrent aux yeux. Elle ramassa sa robe et
la tint devant elle, couvrant sa nudité.
« Excuse-moi, ajouta-t-il, je n’aurais pas dû faire ça.
Je t’ai induite en erreur. C’était cruel de ma part. »
Non, pensa-t-elle tout bas. C’est moi qui ai été
cruelle ; c’est moi qui t’ai induit en erreur. Mais tu as été le plus
fort. Tu as été fidèle, trop fidèle. Tu es trop bon envers moi.
Elle ne dit rien de tout cela.
Il s’obstinait à regarder ailleurs. « Va à l’étable
maintenant, il le faut. Va dormir. Au matin, tout sera différent. Tout sera
revenu à sa place. »
Elle s’enfuit par la porte arrière sans prendre la peine de
s’habiller. La cour éclairée par la lune était déserte, mais Gwenda ne se
souciait pas d’être vue par quelqu’un. L’instant d’après, elle avait regagné
l’étable.
Une plate-forme aménagée à l’un des bouts du bâtiment
servait à entreposer la paille fraîche. C’était là qu’elle dormait. Ayant
escaladé l’échelle, elle se laissa choir dans le foin en sanglotant de honte et
de déception. Son désespoir était tel qu’elle ne sentait même pas l’herbe sèche
érafler sa peau nue.
Quand enfin elle se fut calmée, elle enfila sa robe et
s’enroula dans une couverture. Ce faisant, elle crut entendre des pas
au-dehors. Elle regarda par une fissure de la paroi en clayonnage.
La lune presque pleine lui permit de reconnaître Wulfric. Le
cœur de Gwenda bondit dans sa poitrine. Tout n’était peut-être pas perdu.
Arrivé à l’étable, le jeune homme hésita et finit par revenir vers la maison. À
quelques pas de la cuisine, il fit demi-tour et s’en retourna à l’étable. Il
resta planté devant la porte pendant un moment et repartit.
Le cœur battant la chamade, elle le regarda traverser ainsi
la cour plusieurs fois de suite sans esquisser un geste vers lui. Elle avait
accompli tout ce qui était en son pouvoir. C’était à lui de faire le dernier
pas.
Il s’était arrêté devant la porte de la cuisine. Le clair de
lune ciselait son profil d’une ligne d’argent qui partait du haut de ses
cheveux et se poursuivait jusqu’à ses bottes. Le voyant enfoncer sa main dans
sa culotte, Gwenda se rappela avoir surpris Philémon s’adonnant à cette même
occupation qui caricaturait les rapports amoureux. Les gémissements de Wulfric
lui apprirent qu’elle ne s’était pas trompée. Dieu, qu’il était beau au clair
de lune ! Elle le regarda fixement gaspiller son désir avec le sentiment
que son cœur se brisait.
20.
Godwyn lança son attaque contre Carlus l’aveugle le dimanche
précédant la date anniversaire de la naissance de saint Adolphe.
Tous les ans, ce dimanche-là, était célébrée dans la
cathédrale de Kingsbridge une cérémonie spéciale au cours de laquelle les
reliques du saint étaient montrées aux fidèles, portées par le prieur suivi de
toute la congrégation des moines. Et l’on priait pour que le temps soit propice
à la moisson.
Comme à l’accoutumée, c’était à Godwyn qu’incombait la tâche
de préparer le sanctuaire pour la cérémonie. Avec l’aide de novices et
d’employés du monastère comme Philémon, il disposait les cierges, remplissait
l’encensoir, installait le mobilier. Pour une occasion de cette ampleur, on
utilisait un second autel, une sublime table en bois sculpté, juchée
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