Un Monde Sans Fin
ramener à Kingsbridge. J’ai proposé
de m’y rendre. Espérons que je saurai le convaincre de refuser ce poste. »
Pétronille prit la parole. Merthin l’écouta attentivement,
car il lui reconnaissait de l’intelligence même s’il ne l’aimait pas. « Ça
ne résoudra pas forcément le problème, dit-elle. Le comte pourra nommer
quelqu’un d’autre qui s’opposera à la construction du pont, lui aussi. »
Godwyn signifia son accord d’un hochement de tête. « À
supposer que j’arrive à persuader Saül de ne pas accepter cette nomination,
nous devons faire en sorte que le comte choisisse quelqu’un qui ne puisse être
élu.
— À qui penses-tu ? demanda sa mère.
— Au frère Murdo.
— Parfait.
— Mais il est épouvantable ! s’écria Caris.
— Justement ! expliqua Godwyn. C’est un ivrogne
avide d’argent, un parasite, un harangueur imbu de sa personne. C’est pour ça
qu’il faut en faire le candidat du comte ! Les moines ne voteront jamais
pour lui ! »
À ces mots, Merthin comprit que Godwyn possédait un vrai
talent de conspirateur, comme sa mère.
« Comment devons-nous procéder ? interrogea
Pétronille.
— En premier lieu, il s’agit de convaincre Murdo de se
présenter à l’élection.
— Ce ne sera pas difficile. Je suis sûr qu’il rêverait
d’être prieur. Tu n’as qu’à lui dire qu’il a ses chances.
— C’est impossible, je soutiens déjà Thomas, tout le
monde le sait. Il me soupçonnerait tout de suite d’avoir des motifs dissimulés.
— Je vais m’en charger, trancha Pétronille. Je
prétendrai que nous sommes à couteaux tirés, toi et moi, et que je ne veux pas
de Thomas. Je lui confierai que le comte recherche quelqu’un à nommer et
affirmerai qu’il me paraît être la personne idéale pour remplir ce poste
puisqu’il est apprécié de la population et surtout des pauvres et des ignorants
qui le considèrent proche d’eux. Je lui dirai aussi qu’il n’aura qu’une chose à
faire pour être nommé : persuader le comte qu’il sera son homme de paille.
— C’est parfait, dit Godwyn en se levant. Je tâcherai
d’être présent lorsque frère Murdo s’entretiendra avec le comte Roland. »
Il posa un baiser sur la joue de sa mère et sortit.
Il ne restait plus de poisson. Merthin mangea son pain
imbibé de sauce. Edmond lui proposa du vin. Il refusa par crainte de tomber du
toit de l’église s’il buvait trop. Pétronille partit dans la cuisine et Edmond
se retira dans son bureau pour dormir. Merthin et Caris se retrouvèrent en
tête-à-tête.
Il vint s’asseoir à côté d’elle sur le banc et la prit dans
ses bras.
« Je suis si fière de toi », s’exclama-t-elle.
Il se rengorgea, heureux lui aussi de sa réussite du matin.
Il l’embrassa à nouveau et ce long baiser humide l’excita.
Il caressa le sein de Caris à travers sa robe de lin et en pressa délicatement
le téton entre ses doigts.
Elle tendit la main vers sa protubérance et chuchota en
riant : « Tu veux que je te soulage ? »
Elle lui faisait cela parfois, tard le soir, quand son père
et Pétronille étaient couchés et qu’elle demeurait seule avec Merthin au rez-de-chaussée.
Mais là, c’était le milieu de la journée. À tout moment quelqu’un pouvait
entrer dans la pièce. Il refusa.
« Je peux faire ça vite, insista-t-elle en resserrant
sa prise.
— Ça me gêne. » Il se leva et revint s’asseoir de
l’autre côté de la table.
« Excuse-moi.
— Peut-être qu’on pourra bientôt arrêter ?
— Arrêter quoi ?
— De nous cacher, de nous angoisser à l’idée que
quelqu’un nous surprenne. »
L’air peiné, elle demanda : « Tu ne me désires
plus ?
— Si, bien sûr ! Mais ce serait mieux si nous
étions seuls.
Maintenant que je vais être payé, je devrais peut-être
prendre une maison.
— Tu n’as été payé qu’une fois.
— C’est vrai... Tu es si pessimiste, tout à coup. Je
t’ai fait de la peine ?
— Non. Je me demande seulement pourquoi tu veux changer
les choses. »
La question de Caris le dérouta. « Je ne veux pas les
changer, je veux qu’elles soient meilleures. Je veux pouvoir tout faire dans
l’intimité.
— Eh bien, moi, la situation me convient telle qu’elle
est ! répondit-elle sur un ton provocateur.
— Moi aussi, bien sûr. Mais rien n’est éternel.
— Que sous-entends-tu ?
— Nous ne pouvons pas vivre toute notre vie
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