Un Monde Sans Fin
chez nos
parents en échangeant par-ci par-là des baisers volés quand personne ne nous
regarde, dit-il avec l’impression d’expliquer des choses à un bébé. Nous devons
avoir une maison à nous et vivre comme mari et femme. Dormir ensemble la nuit,
faire l’amour pour de vrai et élever nos enfants.
— Pourquoi ? dit-elle encore.
— Mais je n’en sais rien ! répondit-il au bord de
l’exaspération. Parce que c’est comme ça que les choses doivent être. Mais à
quoi bon te convaincre ? Manifestement, tu as décidé de fermer ton esprit.
Ou de faire comme si.
— À ta guise !
— D’ailleurs, il faut que je retourne au travail.
— Eh bien, vas-y ! »
Il n’y comprenait plus rien. Ces six derniers mois, il avait
ragé de ne pas pouvoir épouser Caris, convaincu qu’elle partageait ce désir. Et
voilà qu’il découvrait maintenant qu’il n’en était rien. La connaissant, il
devinait qu’elle lui en voulait de professer des idées toutes faites. Mais
croyait-elle vraiment que leur relation d’adolescents puisse durer
éternellement ? Il scruta son visage. N’y voyant qu’un entêtement boudeur,
il tourna les talons et passa la porte.
À peine dans la rue, l’hésitation le saisit. Peut-être devrait-il
rentrer et forcer Caris à lui expliquer ce qu’elle avait sur le cœur ? Se
rappelant son expression, il se dit que le moment était mal choisi. Il partit
donc pour Saint-Marc en se demandant comment une journée si bien commencée
pouvait subitement aussi mal s’achever.
22.
Godwyn préparait la cathédrale de Kingsbridge en vue des
noces solennelles censées s’y dérouler sous peu. Pour accueillir une assemblée
aussi prestigieuse que les comtes de Monmouth et de Shiring, la multitude de
barons invités et les centaines d’écuyers à leur service, les lieux se devaient
d’être au sommet de leur splendeur. Il fallait remplacer les pierres fendues,
reconstituer la maçonnerie ébréchée, retailler les sculptures abîmées, passer
les murs à la chaux, repeindre les piliers et tout nettoyer de fond en comble.
« Je souhaite que la réfection du chœur soit achevée
pour cette date, précisa Godwyn à maître Elfric en inspectant le sanctuaire en
sa compagnie.
— Je doute que ce soit possible...
— Cela doit être fait, cependant. Nous n’allons pas
avoir un échafaudage dans le chœur durant la cérémonie ! » Apercevant
Philémon qui lui faisait des signes impérieux de la porte sud du transept, il
pria le bâtisseur de l’excuser.
« Je ne dispose pas des hommes nécessaires ! lança
Elfric à sa suite.
— Il ne fallait pas tant vous presser de les mettre à
la porte ! » répliqua Godwyn par-dessus son épaule.
Philémon était au comble de l’excitation. « Frère Murdo
a demandé à voir le comte, apprit-il à Godwyn.
— Excellente chose ! » répondit celui-ci. Sa
mère avait entrepris le frère lai la veille au soir et il s’était attendu à une
réaction rapide de sa part. Voilà pourquoi il avait demandé à Philémon ce matin
de traîner près de l’hospice et de le prévenir sitôt que Murdo arriverait.
Il se hâta vers l’hospice, Philémon dans son sillage. À son
grand soulagement, Murdo attendait toujours d’être reçu dans la grande salle du
rez-de-chaussée. Pour cette occasion, il avait quelque peu soigné son
apparence : son visage et ses mains étaient propres, la frange de cheveux
autour de sa tonsure était coiffée et le gros des tâches qui émaillaient sa
soutane avait été plus ou moins nettoyé. S’il était loin d’afficher l’apparence
d’un père prieur, il ressemblait presque à un moine.
Godwyn gagna l’étage sans lui prêter attention. Dans la
personne de l’écuyer montant la garde devant la chambre du comte, il reconnut
le frère de Merthin, un Ralph à la beauté un peu altérée par un nez légèrement
boursouflé et des cicatrices plus récentes. Mais n’était-ce pas le lot des
écuyers que de se blesser ? Godwyn le salua aimablement. « Bonjour,
Ralph. Que t’est-il arrivé au nez ?
— Je me suis battu avec un crétin de paysan.
— Je te fais confiance pour l’avoir corrigé comme il le
méritait. Est-ce que le frère lai est déjà venu voir le comte ?
— Oui. On lui a demandé d’attendre.
— Qui est avec le comte en ce moment ?
— Son secrétaire, le père Jérôme, et dame Philippa.
— Demande-leur s’ils peuvent me recevoir.
— Dame
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