Un Monde Sans Fin
Qu’allait-il ajouter ?
Il soupira et serra les dents. « Je vais aller trouver
Perkin. Il a besoin de bras pour les labours d’hiver.
— Et pour fumer le sol, précisa-t-elle d’une voix
joyeuse. Je t’accompagne. Il nous a proposé à tous les deux de nous engager.
— Bien. » Il continuait à la regarder fixement.
« Un enfant, dit-il comme s’il s’agissait là d’une merveille. Un garçon ou
une fille ? »
Elle se leva et contourna la table pour aller s’asseoir sur
le banc près de lui. « Qu’est-ce que tu préférerais ?
— Une fille. Il y a toujours eu des garçons dans la
famille.
— Moi, j’aimerais un garçon, un second toi en tout
petit.
— On aura peut-être des jumeaux.
— Un de chaque. »
Il passa le bras autour d’elle. « Nous devrions
demander au père Gaspard de nous marier comme il faut. »
Gwenda posa la tête sur son épaule avec un soupir de
bonheur. « Oui, dit-elle. On devrait. »
*
Merthin déménagea de chez ses parents, juste avant la Noël,
dans une maisonnette d’une seule pièce bâtie de ses mains sur l’île aux lépreux
qui désormais lui appartenait. Il avait prétexté la nécessité de veiller sur
les matériaux de construction qui s’y empilaient, pierres, chaux, cordes et
outils en fer – toutes choses de grande valeur.
À la même époque, il cessa de prendre ses repas chez Caris.
L’avant-dernier jour du mois de décembre, la jeune fille se rendit chez Mattie
la Sage.
« Inutile de m’expliquer pourquoi tu es là, dit Mattie.
Ça fait déjà trois mois ? »
Caris hocha la tête et baissa les yeux. Elle examina la
petite cuisine remplie de bouteilles et de fioles. Il se dégageait de la
mixture qui cuisait dans une petite marmite en fer une odeur âcre qui la fit
éternuer.
« Je ne veux pas avoir d’enfant, indiqua Caris.
— Si seulement on avait pu m’offrir un poulet chaque
fois qu’on m’a dit ça !
— Est-ce que je suis une mauvaise femme ? »
Mattie haussa une épaule. « Je prépare des breuvages
magiques, je ne m’occupe pas de porter des jugements. Les gens savent faire la
différence entre ce qui est bien et ce qui ne l’est pas. Et s’ils ne le savent
pas, ils peuvent aller trouver les prêtres, qui sont là pour ça. »
La réponse déçut Caris. Elle s’était attendue à plus de
compréhension et elle demanda plutôt fraîchement : « Tu as un
breuvage pour me débarrasser de cette grossesse ?
— Oui !, répondit Mattie, manifestement mal à
l’aise.
— Quelque chose te gêne ?
— Le moyen de faire passer une grossesse consiste à
prendre du poison. Il y a des filles qui avalent toute une barrique de vin
fort. Moi, je mélange plusieurs herbes toxiques. Ça ne marche pas toujours et
la femme qui boit ce breuvage se sent affreusement mal.
— C’est dangereux ? Je pourrais en mourir ?
— Oui, mais pas aussi dangereux que d’accoucher.
— Eh bien, je vais en prendre. »
Mattie retira sa marmite du feu et la posa à refroidir sur
une pierre plate. Puis elle se dirigea vers sa vieille table et versa de
petites quantités de poudres différentes dans une écuelle prise sur une
étagère.
« Qu’est-ce que tu as ? dit Caris. Tu en fais une
tête pour quelqu’un qui ne porte pas de jugement.
— Tu as raison, je porte des jugements, naturellement.
Comme tout le monde.
— Et tu considères que... ?
— Je trouve que Merthin est un homme bien et je sais
que tu l’aimes. Mais apparemment, tu n’es pas capable de trouver le bonheur
avec lui, et cela m’attriste.
— Tu penses que je devrais faire comme les autres et me
jeter aux pieds d’un homme ?
— Elles en tirent de la joie, semble-t-il. Pour ma
part, j’ai choisi de vivre autrement. Toi aussi, je suppose.
— Tu es heureuse ?
— Le bonheur n’est pas fait pour moi. Mais j’aide les
gens, je gagne ma vie et je suis libre. » Elle versa son mélange dans un
bol, y ajouta du vin et remua pour dissoudre les poudres.
« Tu as mangé au petit déjeuner ?
— J’ai seulement bu du lait. »
Elle fit tomber quelques gouttes de miel dans sa mixture.
« Bois ça. Inutile de dîner. Tu vomirais tout ce que tu
aurais avalé. »
Caris prit la tasse et après une légère hésitation la but
d’un trait. Le breuvage avait un goût amer que le miel ne parvenait pas à
masquer.
« Le résultat devrait se faire connaître demain matin.
Dans un sens ou dans l’autre. »
Caris
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