Un Monde Sans Fin
faisaient reculer
entre les limons. Dick le Brasseur, qui avait apporté une énorme barrique de
bière pour donner aux voyageurs « du cœur à l’ouvrage », avait obtenu
un résultat mitigé, puisque plusieurs conducteurs avaient dû rentrer se
coucher.
Côté Kingsbridge, une foule de badauds s’était rassemblée
sur la rive pour assister au départ du convoi. Enfin, il s’ébranla sous les acclamations
des spectateurs.
Cependant, les problèmes ne s’arrêtaient pas au transport
des pierres. Bien d’autres choses préoccupaient Merthin, notamment le vidage
des batardeaux. S’il voulait commencer à poser les fondations sitôt le matériau
livré, il lui faudrait écoper toute l’eau à l’intérieur des anneaux de pieux en
deux jours de temps, et non pas en deux semaines. Profitant que les vivats se
calmaient, Merthin s’adressa à la foule. C’était le moment ou jamais de capter
l’intérêt des jeunes, avant que l’enthousiasme ne faiblisse, car la tâche à
accomplir serait la plus pénible de toutes.
« J’ai besoin que les plus forts d’entre vous restent
ici, en ville ! » cria-t-il. Un silence intrigué s’établit.
« Alors, y a-t-il des hommes forts à Kingsbridge ? » lança-t-il
d’une voix puissante.
Réclamer seulement des hommes costauds était une façon de
lancer aux jeunes un défi auquel ils ne résisteraient pas.
« Il s’agit de vider les batardeaux, et cela avant le
retour du convoi demain soir. Ce sera le travaille plus dur que vous aurez fait
de votre vie. Alors, pas de mauviettes, s’il vous plaît ! » Tout en
prononçant ces mots, il croisa le regard de Caris dans la foule et la vit
tressaillir. Oui, elle l’avait insulté et le comprenait maintenant. « Toute
femme qui se croit aussi forte qu’un homme peut venir aussi, continua-t-il.
J’ai seulement besoin que vous veniez me rejoindre le plus vite possible en
face de l’île aux lépreux, armés d’un seau. Mais rappelez-vous : les plus
forts d’entre vous seulement ! »
Merthin les avait-il convaincus ? Il n’en était pas
sûr. Ayant repéré Marc le Tisserand, il se fraya un passage jusqu’à lui.
« Marc, tu veux bien encourager les jeunes à venir nous
aider ? » lui demanda-t-il anxieusement.
Ce géant tout doux était très aimé en ville. Bien qu’il soit
pauvre, il avait de l’influence, surtout parmi les adolescents. « Je
m’assurerai qu’ils se joignent à moi.
— Merci. »
Merthin alla ensuite trouver Ian le Batelier.
« J’espère avoir besoin de vous pour toute la journée. Pour transporter les
gens aux batardeaux et les en ramener. Vous pouvez travailler pour un salaire
ou pour une indulgence, à votre choix. » Ian, qui était fort épris de la
jeune sœur de sa femme, préférerait probablement l’indulgence. Pour se laver
d’un péché déjà commis ou qui le serait bientôt.
Puis Merthin se rendit sur la berge, à l’emplacement de la
butée du pont. Les batardeaux pourraient-ils être vidés en deux jours ? Il
n’en avait aucune idée. Combien de gallons d’eau contenaient-ils ? Des
milliers ? Des centaines de milliers ? Il y a forcément un moyen de
le calculer, se dit-il. Les philosophes grecs avaient certainement trouvé une
méthode, mais on ne la lui avait pas enseignée à l’école du prieuré. Pour la
connaître, il fallait probablement aller à Oxford où vivaient des
mathématiciens célèbres dans le monde entier, à en croire Godwyn.
Il attendit au bord de l’eau, se demandant si quelqu’un
allait venir le rejoindre.
La première à arriver fut Megg Robins, la fille d’un
marchand de maïs, que des années passées à soulever les sacs de grain avaient
bien musclée. « Je peux en remontrer à la plupart des hommes de cette
ville », dit-elle, et Merthin n’en douta pas un instant.
Un groupe de jeunes arriva peu après, puis trois novices du
prieuré.
Dès qu’il eut réuni dix personnes lestées de seaux, Merthin
pria Jan de les transporter au plus proche des deux batardeaux.
À l’intérieur de l’anneau de planches, il avait construit,
quasiment au ras de l’eau, un rebord assez solide pour que plusieurs personnes
puissent s’y tenir debout. Quatre échelles solidement ancrées dans le lit de la
rivière venaient s’y appuyer. Au centre du batardeau flottait un grand radeau
maintenu en place par des bouts de bois en saillie qui frôlaient presque le mur
et l’empêchait ainsi de se déplacer librement
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