Un Monde Sans Fin
seconde.
Julie continuait à s’activer sous la robe de Gwenda.
« Ne pousse plus maintenant, lui dit-elle au bout d’un moment. Respire par
petits coups. » Elle se mit à haleter pour lui montrer ce qu’elle voulait
dire. Gwenda l’imita et cette méthode parut la soulager un peu. Puis ses cris
recommencèrent. Des cris insupportables. Au point que Caris se demanda à quoi
pouvaient ressembler les accouchements difficiles et si celui auquel elle
assistait était un accouchement normal.
Elle avait perdu la notion du temps : tout se passait
très vite et, curieusement, elle avait l’impression que son amie souffrait
depuis une éternité. Elle éprouvait à nouveau cet horrible sentiment
d’impuissance qui l’avait accablée le jour où sa mère était morte. Elle ne
savait que faire pour aider la vieille Julie et son inutilité redoublait son
angoisse. Pour ne pas trahir son anxiété, elle se mordait les lèvres. Les
mordait tant et si bien qu’elle avait un goût de sang dans la bouche.
« Le bébé arrive ! » annonça Julie. Remuant
ses mains sous le tissu, elle fit remonter la robe de Gwenda. Un crâne couvert
de cheveux humides émergeant d’une ouverture abominablement étirée se révéla
soudain aux yeux horrifiés de Caris. « Dieu du ciel ! s’écria-t-elle.
Je comprends que ce soit douloureux ! »
La vieille Julie soutenait de sa main gauche la tête du bébé
et la fit tourner lentement sur le côté. Des épaules minuscules apparurent, à
la peau glissante de sang et de cette autre humeur qui la recouvraient.
« Ne te crispe pas ! dit Julie. C’est presque fini. C’est un beau
bébé, semble-t-il. »
Beau ? pensa Caris. Cet enfant lui paraissait
monstrueux.
Le torse émergea à son tour. Il y avait comme une grosse
corde attachée au nombril, un filin tout bleu et qui palpitait. Puis des jambes
et des pieds sortirent d’un coup. Julie prit le bébé dans ses deux mains. Il
était minuscule, sa tête était à peine plus grande que sa main.
Brusquement, Caris eut l’impression que quelque chose
n’allait pas : le bébé ne respirait pas.
Julie le souleva jusqu’à son visage et souffla dans ses
narines minuscules.
Le bébé ouvrit la bouche et happa une goulée d’air.
« Dieu soit loué ! » s’exclama Julie quand il se mit à crier.
Elle entreprit d’essuyer le visage de l’enfant avec sa
manche, nettoyant tendrement le tour de ses oreilles, ses yeux, son nez et sa
bouche. Puis elle le serra contre son cœur, les yeux fermés. Et Caris, qui la
regardait, découvrit en un instant tout ce qui se cachait sous le choix d’une
vie d’abnégation. Mais Julie se reprit et déposa le bébé sur la poitrine de sa
mère.
Gwenda baissa les yeux vers lui. « C’est un garçon ou
une fille ? »
À sa grande surprise, Caris se rendit compte que personne ne
s’était intéressé à cette question. Julie se pencha pour écarter les jambes du
bébé. « Un garçon », dit-elle.
La corde bleue ne palpitait plus. À présent, elle était
blanche et ratatinée. Julie sortit de sa boîte en bois deux longueurs de fil de
fer qu’elle noua l’une après l’autre autour de ce cordon. Puis, à l’aide d’un
petit scalpel, elle trancha celui-ci entre les deux nœuds et remit son
instrument à Mair.
Celle-ci lui tendit à la place une toute petite couverture
sortie de la boîte. Julie reprit le bébé dans ses mains. L’ayant enveloppé dans
la couverture, elle le rendit à Gwenda. Mair apporta des oreillers et aida la
jeune mère à se redresser. Gwenda baissa le haut de sa robe pour sortir son
sein gonflé. Elle donna le mamelon au bébé qui commença à téter. Une minute
plus tard, il dormait.
Sous la jupe de Gwenda toujours relevée, on voyait saillir
l’autre extrémité du cordon ombilical, et il bougeait curieusement. Au bout de
quelques minutes, il fut expulsé en même temps qu’une étrange masse informe et
sanguinolente qui se répandit sur la paillasse. L’ayant récupérée, Julie la
remit à la novice en lui ordonnant de la brûler.
Puis elle examina la région pelvienne. La voyant froncer les
sourcils, Caris suivit son regard. Gwenda continuait à perdre son sang. Julie
avait beau l’essuyer, de nouveaux filets rouges apparaissaient aussitôt.
À peine Mair fut-elle revenue que Julie lui ordonna d’aller
quérir mère Cécilia. « Fais vite, s’il te plaît. »
Wulfric s’inquiéta : « Il y a des
complications ?
— Elle ne
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