Un Monde Sans Fin
devrait plus saigner maintenant. »
Subitement, une tension s’instaura. Wulfric était effrayé.
Le bébé pleurait. Gwenda lui donna à nouveau le sein. Il téta brièvement et se
rendormit. Julie ne lâchait pas la porte des yeux.
Enfin mère Cécilia fit son entrée. Elle examina Gwenda et
demanda : « L’arrière-faix est sorti ?
— Oui, il y a déjà un moment.
— Vous avez mis le bébé au sein ?
— Sitôt le cordon coupé.
— Je vais appeler un médecin. » Mère Cécilia
partit d’un pas vif, pour revenir quelques minutes plus tard avec un petit
verre contenant un liquide jaune. « Voilà ce que le prieur Godwyn a
prescrit, dit-elle.
— Il ne vient pas ausculter Gwenda ? s’insurgea
Caris.
— Certainement pas ! répondit Cécilia avec
brusquerie. En tant que prêtre et moine, il ne peut examiner les parties
intimes d’une femme !
— Podex ! » s’exclama Caris avec mépris.
« L’imbécile », en latin.
La mère supérieure prétendit ne pas avoir entendu et
s’agenouilla près de Gwenda. « Bois ceci, ma chère. »
Gwenda s’exécuta. Le sang ne tarissait pas. Elle était pâle,
et paraissait plus faible encore qu’après l’accouchement. De toutes les
personnes présentes dans la pièce, le bébé qui dormait sur son sein était bien
le seul à manifester de la satisfaction. Wulfric ne cessait de se lever pour se
rasseoir ; Julie, au bord des larmes, essuyait sans relâche les cuisses de
Gwenda, et celle-ci réclamait à boire. Mair lui apporta un bol de bière anglaise.
Entraînant Julie sur le côté, Caris demanda tout bas :
« Elle ne va pas mourir, à perdre tout ce sang ?
— Nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir.
— Vous avez déjà rencontré des cas semblables ?
— Oui, trois.
— Comment ça s’est terminé ?
— Par la mort de la mère. »
Un soupir de désespoir s’échappa des lèvres de Caris.
« Il y a forcément quelque chose à faire !
— Prier Dieu, car elle est entre ses mains.
— Ce n’est pas ce que j’entendais par « faire
quelque chose ».
— Mesurez vos paroles ! »
Caris se sentit immédiatement gênée. Se disputer avec Julie
était bien la dernière chose qu’elle souhaitait. « Pardonnez-moi ma sœur.
Je ne niais pas la puissance de la prière.
— Je l’espère.
— Mais je ne suis pas encore prête à abandonner Gwenda
aux mains de Dieu.
— Que peut-on faire d’autre ?
— Vous verrez. »
Sur ces mots, la jeune fille quitta l’hospice en hâte et
joua des coudes impatiemment dans la foule des clients et promeneurs de la
foire. Le fait que des gens puissent se livrer à leurs occupations de vendeurs
et d’acheteurs alors qu’un drame se jouait à quelques pas d’eux lui parut
étrange. Mais n’avait-elle pas elle même poursuivi tranquillement sa tâche dans
des circonstances identiques ?
Parvenue au portail du prieuré, elle fila à toutes jambes
chez Mattie. Arrivée devant sa maison, elle frappa à la porte et entra. À son
grand soulagement, la guérisseuse était là.
« Gwenda vient juste d’avoir son bébé, dit-elle.
— Il y a des complications ? la coupa Mattie.
— Le bébé est en pleine forme, mais Gwenda saigne
toujours.
— L’arrière-faix est sorti ?
— Oui. Tu peux faire quelque chose ?
— Peut-être. Je vais essayer.
— Je t’en supplie, viens vite ! »
Mattie retira une marmite du feu, puis enfila ses sabots.
Sortie dans la rue avec Caris, elle tourna la clef dans sa serrure.
« Je te jure bien que je n’aurai jamais
d’enfant ! » lâcha Caris sur un ton énergique avant de s’élancer. Les
deux femmes dévalèrent les rues jusqu’au prieuré.
À peine entrée dans l’hospice, Caris fut saisie à la gorge
par une odeur de sang. Avant toute chose, Mattie prit soin de prodiguer à la
vieille Julie les marques de respect nécessaires. « Bon après-midi, ma
sœur.
— Bonjour, Mattie, répondit Julie d’un air pincé. Vous
croyez pouvoir aider cette femme alors que les saints remèdes du prieur sont
restés sans effet ?
— Dieu seul sait ce qui se produira. Mais avec le
soutien de vos prières pour la patiente et pour moi-même, ma sœur, tous les
espoirs ne sont peut-être pas perdus. »
Réponse diplomatique, certes, mais elle suffit à apaiser la
vieille Julie.
Mattie s’agenouilla près de la mère et de son enfant. Gwenda
gisait les yeux fermés, encore plus pâle
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